Page:La Société nouvelle, année 14, tome 1, 1908.djvu/19

Cette page a été validée par deux contributeurs.

Rothschild ne peuvent écarteler leur écusson que de ciseaux à coupons. Aussi ne faut-il pas s’étonner si les riches allient à la bassesse de leurs préoccupations la vulgarité du goût ; à force de concentrer leurs désirs sur la matière, ils sont devenus indignes de recevoir la grâce sanctifiante de l’art. Car, vraiment, ce qu’ils appellent l’art, eux, n’est la plupart du temps qu’une aide à la digestion ou un excitant à la copulation.

Si la ploutocratie est sans âme, le prolétariat, par la force même de sa misère, est sans idéal. Est-ce vivre que de passer toute son existence à s’assurer les moyens de vivre ? Trop d’ouvriers sont comparables à ces mendiants qui se disputent dans les foires les sous lancés à la gribouillette. C’est pourtant chez eux que l’on constate les exemples les plus fréquents d’abnégation et d’héroïsme ; quand la vie vaut peu, on hésite moins à la sacrifier. Mais leurs pensées se détachent difficilement de la pâtée quotidienne, et leur ambition se borne trop souvent à ressembler à leurs maîtres.

L’artiste, dans une pareille géhenne, ne peut être que le courtisan de Ploutos ou de Démos, ou un isolé se consumant en de vaines rêveries. La Beauté, comme l’Amour et la Science, n’est possible que dans une société où serait réalisée la noble devise : chacun pour tous, tous pour chacun. L’Histoire prouve du reste que l’art suprême n’a fleuri que dans les civilisations harmoniques où la chose publique, non pas théoriquement, mais réellement, était l’affaire de tous les citoyens. Il importe maintenant d’étendre cette harmonie, jadis réalisée dans quelques cités, à tous les pays où le prolétariat, fort de ses droits sociaux, commence à s’organiser contre le patronat.

William Morris épousa sans hésitation la cause des Pauvres, comprenant que l’anarchie économique de nos temps ne pouvait aboutir qu’à une nouvelle barbarie, si les hommes de bonne volonté ne s’insurgeaient pas sans retard contre la domination de Mammon. Il se mit à prêcher avec l’ardeur d’un néophyte l’évangile du socialisme révolutionnaire à la tourbe hostile de Londres. On le vit tour à tour dans les salles enfumées de l’East End ou à Hyde Park, dans la charrette de l’orateur de meeting, essayant d’éveiller chez ses auditeurs, qui insultèrent maintes fois à son enthousiasme, l’esprit d’indépendance et de révolte. Son public se composait parfois d’une douzaine de gamins et d’un policeman. Mais ni les injures ni le ridicule ne vinrent à bout de William Morris. Par un prodige de foi et