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milieu des chants et des fanfares, la splendeur de ses fêtes civiques sur lesquelles flotteront les bannières des corporations et le drapeau d’une unique patrie ? Vision qui vaut celle, si belle pourtant, des Parthénons au bord des mers violettes ou des cathédrales perçant de leurs clochers les brumes grises. Le passé, quelque sublime qu’il ait été, et quel que soit le regret que nous inspire le spectacle de ses ruines, est mort à tout jamais.

William Morris fit œuvre moins contestable en élargissant le domaine de l’art. Il ne réservait pas le titre d’artiste aux seuls spécialistes du « grand art », il l’étendait à tous ceux qui marquent un ouvrage quelconque d’un sceau personnel. Il ne pardonnait pas au dilettantisme vaniteux. Appelé à faire une conférence devant les hauts bourgeois d’une ville qui se targue de sa protection des arts, il dénonça leur hypocrisie : « À Manchester, un habitant de cette ville m’a affirmé que l’acte sur la fumée y reste littéralement lettre morte. Eh bien ! on achète des tableaux à Manchester ; on s’y vante de favoriser les arts ; mais, comme vous le voyez, ce ne peut être là qu’une vaine ostentation, en ce qui concerne du moins les riches. Ils veulent seulement en parler, mais leur conduite parle pour eux. »

William Morris ne croyait pas que le rôle de l’artiste se bornât à noircir du papier, à peinturlurer de la toile ou à pétrir de la glaise ; il sentait que son devoir quotidien consiste à réaliser de la beauté dans les moindres détails de la vie. « Lui et Burne Jones, dit Jean Lahor dans l’article déjà cité, ont du beau ce glorieux besoin qui le rend aussi nécessaire à certains hommes que le pain de chaque jour l’est à tous, et qui fait que l’artiste le veut et l’exige en toute chose s’offrant à ses regards. »

Pour propager dans le public le goût de la beauté et pour mettre l’ouvrier d’art en relations directes avec l’acheteur, William Morris, secondé par Burne Jones et Walter Crane, fonda l’Arts and Crafts Society (Société des Arts et Métiers) qui expose annuellement à Londres le résultat de ses travaux, depuis des broderies d’amateur jusqu’à des tableaux de maître.

Et comme un tel labeur ne suffisait pas à épuiser ses forces, il entreprit, après la lutte contre la laideur, la lutte contre l’injustice, et se mit à propager parmi le peuple les doctrines du socialisme révolutionnaire.