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Heurtent quelques quilles qui apportent des bois du Levant
Découpés dans la forêt d’ifs sur la colline brûlée,
Et des jarres pointues que des mains grecques peinèrent à emplir,
Et le trésor des rares épices de quelque lointaine mer,
Du brocart de Florence, du linge d’Ypres,
Du drap de Bruges et des tonneaux de Guyenne,
Tandis que près du quai encombré Geoffrey Chaucer suit de la plume
Les listes de marchandise…

Le Paradis Terrestre contient, racontées par un doux trouvère de nos temps, les légendes héroïques de la Grèce, ainsi que les mythes empruntés aux peuples du Nord, Germains et Scandinaves. On peut citer La Course d’Atalante, L’Amour et Psyché, L’Amour d’Alceste, Le Fils de Crésus, Pygmalion et la Statue, La Mort de Paris, Ogier le Danois, Les Amants de Gudrune, etc. Il est impossible, en un si court espace, de donner une idée adéquate de cette prodigieuse série d’épopées. Tout au plus pourrons-nous en suggérer le caractère en la différenciant de La Légende des Siècles. Là où Victor Hugo est tout vie, force et rage, William Morris est le calme, l’harmonie, la grâce. Victor Hugo mène nos pensées terrifiées aux cimes où se déploie dans la tempête le vol des aigles ; William Morris leurre notre nostalgique rêverie vers un verger enchanté où roucoulent des colombes. Bref, comme son satyre, le poète français se dresse « debout dans le délire des rêves, des frissons, des aurores, des cieux », tandis que le poète anglais a dit de lui-même, dans une fameuse Apologie : « Je ne suis que le vain chanteur d’une journée désœuvrée », I am the idle singer of an empty day :

Du ciel ou de l’enfer je n’ai pas pouvoir de chanter,
Je ne puis alléger le fardeau de vos craintes,
Ni faire de la mort aux pas rapides une petite chose,
Ni vous ramener le bonheur des ans passés ;
Et par mes paroles vous n’oublierez pas vos larmes
Et vous ne recouvrerez pas l’espérance pour tout ce que je puis dire,
Moi, le vain chanteur d’une journée désœuvrée.

Mais plutôt lorsque, las de votre gaîté,
Vous soupirerez du fond d’un cœur que rien ne rassasie,