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continuellement, mais il nous donne quelque idée des obstacles qui s’opposent à cette transformation. Quant au tissage de la soie, il se répand dans toute l’Europe sous son antique forme d’occupation rurale, tandis que surgissent tous les ans de nouvelles industries qui, ne pouvant malheureusement pas toujours s’exercer dans les villages, ainsi qu’il arrive en Angleterre, se réfugient dans les faubourgs des cités, comme nous l’apprennent les récentes enquêtes sur les petites industries qui ont reçu le nom de « Sweating System » pour l’exploitation à outrance qui s’y pratique.

La supériorité du travail de fabrique sur le travail à la main, comme économie de temps et d’argent, est si évidente qu’on s’étonne de voir celui-ci se perpétuer ; c’est que bien des causes, dont toutes ne peuvent s’évaluer en francs et en centimes, militent en sa faveur, et nous allons essayer d’en formuler quelques-unes, tout en donnant une esquisse très incomplète des innombrables petites industries qui sont à l’œuvre en Angleterre et sur le continent, et dont l’énumération seule excéderait la teneur d’un article de revue. En voyant le médiocre intérêt qu’y attachent les économistes orthodoxes, je ne me doutais guère, quand, il y a sept ou huit ans, j’abordai cette étude, de la complexité et de l’importance des faits qu’elle allait me révéler, et regrettant de ne pouvoir les traiter ici en détail, je me réserve de donner plus tard dans un ouvrage spécial tous les matériaux que j’ai recueillis sur ce vaste sujet.

On ne connaît pas le nombre exact des ouvriers dans les petites industries rurales, en Angleterre, la question n’ayant pas été élucidée avec le même soin qu’en Allemagne et surtout qu’en Russie ; mais on peut affirmer que, même dans ce pays de grande industrie, le nombre de ceux qui gagnent leur vie dans les petites industries égale, s’il ne dépasse, celui des ouvriers des grandes usines[1].

En tous cas, nous savons que les faubourgs de Londres, de Glasgow et d’autres cités fourmillent de petits ateliers, et que dans mainte région les industries domestiques sont aussi développées qu’en Suisse et qu’en Allemagne. Scheffield peut en être cité comme un exemple bien connu. Sa coutellerie, une des gloires de l’Angleterre, n’est pas œuvre de la grande industrie, mais œuvre de main d’homme dans les petits ateliers. Il y a bien à Scheffield quelques fabriques où, depuis la préparation de l’acier jusqu’aux outils les plus parfaits, tout se fait par le travail salarié, et pourtant mon ami, E. Carpenter, de qui je tiens ces renseignements sur le commerce de

  1. On lit dans divers ouvrages économiques qu’il y a en Angleterre proprement dite près d’un million d’ouvriers travaillant dans les grandes industries et 1,047,000 ouvriers dans les petits métiers, — les bouchers, boulangers, maçons, charpentiers, etc., étant compris dans ce dernier chiffre ; j’ignore si ces données sont exactes.