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Et une pareille ineptie, une fable aussi ridicule, révoltante, monstrueuse a pu être sérieusement répétée par de grands docteurs en théologie pendant plus de quinze siècles, que dis-je, elle l’est encore aujourd’hui ; plus que cela, elle est officiellement, obligatoirement enseignée dans toutes les écoles de l’Europe. Que faut-il donc penser de l’espèce humaine après cela ? Et n’ont-ils pas mille fois raison ceux qui prétendent que nous trahissons même encore aujourd’hui notre très proche parenté avec le gorille ?

Mais là ne s’arrête pas l’esprit (un mot illisible) des théologiens chrétiens. Dans la chute de l’homme et dans ses conséquences désastreuses tant pour sa nature que pour lui-même, ils ont adoré la manifestation de la justice divine. Puis ils se sont rappelé que Dieu n’était pas seulement la justice, mais qu’il était encore l’amour absolu et, pour concilier l’une avec l’autre, voici ce qu’ils ont inventé :

Après avoir laissé cette pauvre humanité pendant quelques milliers d’années sous le coup de sa terrible malédiction, qui eut pour conséquence de vouer quelques milliards d’êtres humains à la torture éternelle, il sentit l’amour se réveiller dans son sein, et alors que fit-il ? Retire-t-il de l’enfer les malheureux torturés ? Non, pas du tout ; c’eût été contraire à son éternelle justice. Mais il avait un fils unique ; comment et pourquoi il l’avait, est un de ces mystères profonds que les théologiens, qui le lui ont donné, déclarent impénétrable, ce qui est une manière naturellement commode de se tirer d’affaire et de résoudre toutes les difficultés. Donc, ce père plein d’amour, dans sa suprême sagesse, décide d’envoyer son fils unique sur la terre, afin qu’il s’y fasse tuer pour les hommes, pour sauver non les générations passées, ni même les générations à venir, mais, parmi ces dernières, comme le déclare l’Évangile lui-même, et comme le répète chaque jour l’Église tant catholique que protestante, seulement un fort petit nombre d’élus.

Et maintenant la carrière est ouverte, c’est, comme nous l’avons dit plus haut, une sorte de course au clocher, un sauve-qui-peut, à qui sauvera son âme. Ici les catholiques et les protestants se divisent : les premiers prétendent qu’on n’entre au paradis qu’avec la permission spéciale du saint-père le pape ; les protestants affirment, de leur côté, que la grâce immédiate et directe du bon Dieu seul en ouvre les portes. Cette grave dispute continue encore aujourd’hui ; nous ne nous en mêlerons pas.

Résumons en peu de mots la doctrine chrétienne :

Il est un Dieu : Être absolu, éternel, infini, tout-puissant, il est l’omniscience, la vérité, la justice, la beauté et la félicité, l’amour et le bien absolus. En lui tout est infiniment grand, en dehors de lui le Néant. Il est, à la fin des comptes, l’Être lui-même, l’Être unique.