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subdivision risque de devenir le sujet principal, jusqu’à ce qu’elle soit divisée de nouveau et que la même chose se répète jusqu’à ce que toute proportion est perdue et souvent le manuscrit abandonné.

Je ne peux donc que reproduire ici les pages 4 à 12 du même manuscrit, intéressantes en elles-mêmes, mais une maigre compensation pour une autobiographie.

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« Ah ! mon cher, jamais un homme né dans un des pays de l’Europe occidentale, même un Français faisant son éducation politique sous le régime de Napoléon III, ni un Prussien faisant son apprentissage de citoyen libre sous M. de Bismarck, ni un Italien soumis au joug autrichien, ni un Espagnol sujet des Bourbons, d’Isabelle et de Narvaez, ne pourront se former une idée de ce que c’était que la réalité russe sous le régime de l’empereur Nicolas !

Pour t’en donner une faible idée, je dois te rappeler que l’avènement au trône de l’empereur Nicolas avait été signalé par la répression d’un mouvement insurrectionnel militaire qui avait été préparé de longue main par une large conspiration nobiliaire. C’est ce que nous appelons la conspiration de décembre, non qu’elle ait commencé dans ce mois, mais parce qu’elle a échoué en décembre. Je l’appelle nobiliaire, non pour son programme, qui était au contraire très démocratique, voire même socialiste sous beaucoup de rapports, mais parce que la presque totalité de ses membres étaient de jeunes gens appartenant à la classe nobiliaire et constituant pour ainsi dire la fine fleur de la jeunesse intelligente de ce temps. C’est ce qui avait fait dire au comte Rostoptchine, ci-devant général-gouverneur de Moscou, le même qui avait fait brûler cette ancienne capitale de l’empire, en 1812, pour en faire sortir Napoléon avec sa grande armée, et qui était un homme très intelligent et très réactionnaire à la fois, c’est, dis-je, ce qui lui avait fait émettre alors une observation qui était aussi caractéristique que juste :

« On a vu des nobles faire une révolution pour s’emparer du pouvoir, a-t-il dit, on a vu la démocratie se soulever contre les privilèges de l’aristocratie. Mais il faut venir et vivre en Russie pour voir des privilégiés et des nobles faire une révolution n’ayant d’autre but que la destruction de leurs privilèges. »

Et tel avait été, en effet, le but principal de la conspiration décembriste. Il y avait deux sociétés : celle du Nord et celle du Midi. La première, embrassant Pétersbourg et Moscou et composée en majeure partie des officiers de la garde, était beaucoup plus aristocratique et plus politique, dans le sens de la puissance de l’État, que la seconde. Les Mouravieff, cou-