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moyen de louer d’autre terre si par ailleurs on gagne quelque argent, et le bien-être relatif s’accroît en proportion. Notre dire se confirmerait très bien par la comparaison des villages de Vorsma et de Pavlovo, qui font tous les deux de la coutellerie ; le premier se bornant à cette industrie et le second, très prospère, faisant en outre de l’agriculture[1].

On aimerait en dire plus long des industries rurales en Russie, à montrer par exemple les paysans s’associant pour se procurer des machines coûteuses et se liguant contre les intermédiaires lorsque l’extrême pauvreté leur permet quelques achats indispensables. Il y aurait aussi à parler de la Belgique et surtout de la Suisse où se passent des faits analogues aussi intéressants, mais l’on a déjà une idée générale de l’importance, de la force vitale et régénératrice des industries domestiques.

Les faits que nous avons brièvement résumés montreront aussi combien serait admirablement féconde la commune participation aux travaux de l’agriculture et à ceux de l’industrie, si cette dernière se pratiquait dans les villages, non sous sa forme actuelle d’usine capitaliste, mais sous celle d’une production industrielle socialement organisée. Et nous sommes convaincus que de cette alliance dérivera le bien-être des futures générations. À part quelques métiers choisis procurant une certaine aisance à ceux qui les exercent dans les villes, l’immense famille ouvrière est partout surmenée, exploitée à outrance, réduite à la misère. Et cependant de cette situation déplorable surgissent quelques cas, quoique rares, d’existences supportables, et ces cas apparaissent précisément là où les ouvriers sont restés possesseurs du sol qu’ils cultivent. Les tisserands moscovites et ceux du nord de la France, que menace toujours la concurrence de l’usine, sont moins malheureux que d’autres, tant qu’ils ne sont point contraints de vendre leur lopin de terre ; mais lorsque l’augmentation de l’impôt ou l’appauvrissement croissant à la suite d’une crise a forcé le malheureux industriel à s’en séparer, la misère frappe à sa porte quand même il n’aurait pas à redouter la concurrence de la fabrique. L’exploiteur devient tout puissant, abuse de l’ouvrier et la ruine bientôt devient inévitable.

De tels faits sont significatifs, de même que l’installation de plus en plus menaçante de l’usine dans les villages. Ce serait une erreur de croire que l’industrie doit revenir à son premier stage d’occupation manuelle pour s’allier à l’agriculture. La machine soit la bien-venue partout où le travail humain peut être économisé, grâce à son concours ! Il n’y a guère d’industrie où le travail de la machine ne puisse s’adjoindre avantageusement au travail de l’homme, surtout à l’origine de la fabrication. Dans le désordre

  1. Prugavin, Vyestnik Promyshlennosti, juin 1884.