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et soudain développement de la grande manufacture, loin d’être préjudiciable aux industries domestiques, les stimule fortement au contraire, car il s’en crée tous les jours de nouvelles qui se développent avec plus d’intensité partout où s’établissent des usines. De plus, il arrive que si jusqu’à présent les provinces les moins fertiles étaient seules le siège d’industries domestiques, ces mêmes industries, et d’autres toutes modernes, surgissent maintenant dans les contrées les plus favorisées comme sol et comme climat : ainsi le gouvernement de Stavropol, dans le Caucase septentrional, est devenu le centre d’une fabrication très active d’étoffes de soie que l’on tisse dans les chaumières et qui fournit l’empire de soies à bon marché que l’on importait autrefois.

Notons en passant l’extension très grande des institutions coopératives dans ces industries de village. Quant à l’étonnant bon marché des produits de l’industrie domestique, la cause n’en est pas uniquement à la longue durée de la journée de travail et à la pénurie des salaires, car dans les grandes fabriques aussi, le surmenage et l’insuffisance des salaires sont à l’ordre du jour. Cette modicité des prix est due à ce que le paysan, qui récolte son pain mais n’a jamais d’argent comptant, est obligé d’écouler à n’importe quel prix les produits de son industrie ; c’est pourquoi tous les articles manufacturés dont se servent les pauvres sont de provenance rurale, sauf quelques cotonnades imprimées. Nombre d’articles de luxe se font néanmoins au village, simultanément avec la culture des champs, principalement dans les environs de Moscou. Les chapeaux de soie que l’on vend dans les riches magasins de la capitale et qui passent pour des « nouveautés parisiennes » sont œuvre de paysans moscovites, ainsi que les meubles en bois recourbé qui passent pour « meubles de Vienne ». Et ce qui surprend le plus, ce n’est pas tant l’adresse de ces paysans, qui n’est pas incompatible avec leur aptitude aux travaux agricoles, mais la rapidité avec laquelle la fabrication des objets de luxe s’est répandue dans des villages qui n’exécutaient autrefois que les articles les plus grossiers.

Il est difficile de parcourir les documents recueillis par les statisticiens sans se convaincre que loin de nuire à l’agriculture, les métiers domestiques lui sont avantageux, ce qui est d’autant plus vrai que pendant plusieurs mois de l’année, le paysan russe n’a rien à faire aux champs. De plus, si certaines régions ont été entièrement délaissées, la culture y étant devenue impossible par suite de l’exiguïté des lots et de la pauvreté des habitants, on voit au contraire que le paysan continue à travailler la terre partout où les lots ont une étendue suffisante et où les taxes ne sont pas trop élevées ; son champ est mieux entretenu et son bétail moins rare quand à ses travaux vient s’ajouter quelque métier domestique. Lorsque les lots sont insuffisants, on trouve