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Il serait intéressant de les bien connaître et de noter leur importance économique ; je dirai seulement que, dans plusieurs départements, la petite propriété ne se maintient que parce que le paysan peut gagner quelque chose dans les divers petits métiers, en plus du peu qu’il obtient de la terre. On estime, en fait, que si la moitié de la population vit du travail agricole, et le quart du travail industriel, ce quart se répartit par moitiés entre l’usine et les petits métiers qui subviennent ainsi à l’existence de 1,500,000 travailleurs — plus de 4,000,000 de personnes en y comprenant leurs familles. Quant à ceux qui exercent des métiers industriels sans renoncer à l’agriculture, on sait qu’ils sont très nombreux, sans qu’il y ait là-dessus des chiffres exacts.

C’est le trait caractéristique des petites industries en France que les métiers à la main y tiennent encore un rang fort honorable dans l’industrie textile. On en comptait 328,000, lors de l’Exposition de 1878, contre 120,000 métiers actionnés par la vapeur, et quoique nombre des premiers soient maintenant arrêtés, ils se chiffraient encore au quart du million[1]. Je ne puis entrer dans beaucoup de détails concernant les industries manuelles en France et me bornerai à citer leurs centres principaux : Tarare, la région du Nord, Lyon et Paris, comme types distincts et caractéristiques. Pour la fabrication des mousselines, Tarare occupe une situation identique à celle de Leeds en Angleterre pour la préparation des draps ; il n’y a pas dans les environs une chaumière de paysan, une ferme ou une métairie qui ne soient autant d’ateliers, et Reybaud ajoute que l’on peut voir fréquemment un garçon de 20 ans s’installer au métier à broder après avoir fini de vider les étables. La persistance du métier manuel doit être attribuée à la grande variété des étoffes employées et aux caprices du goût qui donnent lieu à des modifications trop fréquentes des dessins pour qu’on puisse chaque fois transformer aussi les machines. Il est généralement reconnu que cette combinaison du travail des champs et de l’activité industrielle est absolument favorable à l’agriculture qui, privée de ce précieux auxiliaire, serait peut-être impuissante à se maintenir en face des agents défavorables qui la menacent. Il en est de même dans la région du Nord où la fabrication à la main reste toujours active, malgré la formidable concurrence des usines d’Amiens, Lille, Roubaix, Rouen, etc. On tisse toujours du velours et autres cotonnades dans les villages du Nord et de la Normandie et, d’après Baudrillart, la production en tissus de coton des environs de Rouen représentait une valeur d’environ 62 millions de francs en 1880. Chacun des villages et hameaux de la vallée d’Andelle, département de l’Eure, était, récemment encore,

  1. Écrit en 1888.