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LA SOCIÉTÉ NOUVELLE

Soyez certains, il se trouvera quelque chemin pour sortir des difficultés, même quand elles seront le plus inextricables. Soyez certains également qu’alors notre travail trouvera son profit, pourvu qu’il ait été fidèle et par conséquent soigneux et réfléchi.

Je le répète donc, si en quelque matière la civilisation a fait fausse route, le remède n’est pas dans l’immobilité, mais dans une civilisation plus complète.

Or, quelles que soient les discussions que suscite ce terme, souvent employé et souvent mal employé, tous ceux qui m’écoutent m’approuveront, je pense, de tout cœur et sans se borner à le répéter dans une phrasede convention, quand j’affirme que la civilisation qui n’embrasse pas le peuple tout entier est condamnée à déchoir et à faire place à une autre, qui au moins tend à le faire.

Nous parlons de la civilisation des anciens peuples, des temps classiques. Sans doute, ils étaient civilisés, une partie du moins. Le citoyen athénien, par exemple, menait une vie simple, digne, presque parfaite. Mais il y eut peut-être des réserves au bonheur dans la vie des esclaves, et la civilisation des anciens était basée sur l’esclavage.

Cette ancienne société a laissé, en effet, un exemple au monde. Elle a montré à l’évidence les bienfaits qu’engendre la liberté de la vie et de la pensée, une éducation sobre et généreuse. Mais tous ces bienfaits, les anciens peuples les ont révélés au monde et les ont retenus pour eux.

Et c’est pourquoi nul tyran ne fut trop vil, nul prétexte trop vain pour asservir les petits-fils des hommes de Salamine et des Thermopyles. C’est pour cela aussi que les descendants de ces Romains austères et sobres, prêts à sacrifier tout pour la gloire de la République, leur vie aussi facilement que le dernier de leurs biens, donnèrent naissance à des monstres de libertinage et de folle imbécillité. C’est pourquoi une poignée de paysans galiléens renversèrent l’empire romain.

La civilisation antique était enchaînée à l’esclavage et à l’exclusivisme, et elle tomba. La barbarie, qui prit sa place, nous a délivrés de l’esclavage et aboutit à la civilisation moderne. À son tour celle-ci a le choix entre se développer indéfiniment ou être anéantie par ce qui porte en soi le germe d’un développement plus élevé.

William Morris

(À suivre.)