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taines de jeunes gens, répandus par petits groupes dans tout le pays, suffirait pour soulever la nation.

Le soulèvement qu’il avait projeté pour ce printemps, préparé, calculé et organisé toujours de la même manière, aurait eu inévitablement le sort de toutes les entreprises précédentes. Les conséquences en eussent été peut-être encore plus cruelles ; car l’Italie me semble se trouver dans une de ces situations critiques où chaque faute peut devenir fatale. Il ne faut pas que la révolution se déshonore par un mouvement insensé et que l’idée d’un soulèvement révolutionnaire tombe dans le ridicule.

Ce qui peut et doit sauver l’Italie de l’état de prostration avilissante et ruineuse dans lequel elle se trouve plongée maintenant, ce que vous devez préparer et organiser, ce me semble, ce n’est pas un ridicule soulèvement de jeunes gens héroïques mais aveugles, c’est une grande révolution populaire. Pour cela il ne suffit pas de faire prendre les armes à quelques centaines de jeunes gens, il ne suffit pas même de soulever le prolétariat des villes, il faut que la campagne, vos vingt millions de paysans se lèvent aussi.

Depuis le moyen-âge et même depuis la Rome antique, depuis que l’Italie a commencé son existence historique, on peut dire, toute sa vie politique et sociale, le mouvement de sa civilisation s’est concentré dans les villes. Au moyen-âge, vos campagnes formaient sous le point de vue politique et moral, comme un grand désert silencieux et aride, au sein duquel vos villes, exubérantes de mouvement, de richesse, d’intelligence et de sève, éclataient comme des oasis brillantes. Cette non-participation de la campagne à la vie prodigieuse de vos villes fut une des causes principales de la décadence de votre pays. Dans ce siècle, la résurrection glorieuse de l’Italie fut encore exclusivement l’œuvre de vos cités, à l’exclusion presque totale des campagnes. Donc jusqu’à ce moment vos paysans, c’est-à-dire à peu près vingt millions d’Italiens, sont restés en dehors de la vie historique de l’Italie, ou n’y ont participé que comme serfs et victimes.

Voilà où est le plus grand danger. Tout l’avenir de votre pays dépend du parti que vos paysans vont prendre dans la révolution prochaine. Jusqu’à présent ils sont restés passifs et ont subi presque sans résistance le sort et les formes de gouvernement que les villes ont bien voulu leur imposer. Mais vous le savez mieux que moi, les paysans chez vous, comme partout ailleurs, et chez vous peut-être plus que partout, n’aiment point les villes. Les villes ayant été, plus ou moins, politiquement révolutionnaires, les paysans ont été nécessairement réactionnaires, encore moins à cause de l’influence malfaisante que les prêtres exercent sur eux, qu’à cause de cette haine tout à fait naturelle et, disons-le, tout à fait légitime qu’ils nourris-