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les villes principales d’Italie, au nombre de quelques dizaines dans chacune, en entraînant avec eux tout au plus quelques centaines d’ouvriers, et de se lever à l’improviste dans une insurrection simultanée, pour que les masses les suivent. Mais d’abord ils n’ont même jamais su organiser un soulèvement simultané ; et ensuite et surtout les masses sont restées toujours sourdes et indifférentes à leur appel, de sorte que toutes les entreprises mazziniennes ont eu pour résultat invariable des fiasco sanglants et même quelquefois ridicules. Mais comme les mazziniens sont des doctrinaires incorrigibles, systématiquement sourds aux cruelles leçons de la vie, cette succession terrible d’avortements douloureux, cette expérience même ne leur a rien appris. À chaque printemps, ils recommencent de nouveau, attribuant toutes ces défaites passées non au vice inhérent à leur système, mais à quelques circonstances secondaires, à des accidents défavorables, accidents qu’on retrouve dans toutes les entreprises connues de l’histoire, mais qui n’ont pu être vaincus que par celles qui ont vraiment émané des profondeurs mêmes de la vie réelle.

Les mazziniens sont-ils devenus aujourd’hui plus clairvoyants, plus pratiques ? Pas du tout, et pour preuve, c’est que si Mazzini n’était point mort, ils auraient fait un nouvel essai, condamné certainement au même sort. Ils sont incorrigibles, ils mourront incorrigibles et sont frappés de stérilité pour toujours.

Ces entreprises toujours avortées avaient une raison d’être, malgré leur insuccès constant et fatal, alors qu’il s’agissait de réveiller et de former le patriotisme de la jeunesse italienne. Ce fut, comme je l’ai dit déjà, l’œuvre glorieuse de Mazzini. Mais une fois cette œuvre accomplie, il fallait absolument changer de système, sous peine de la détruire ou de la corrompre elle-même. Le vieux système de Mazzini, qui était excellent pour créer une vaillante jeunesse, ne valait rien pour produire une grande révolution triomphante. Étant lui-même toujours dominé par ses abstractions théologiques, poétiques, politiques et patriotiques, étant d’un autre côté parvenu à faire partager plus ou moins l’enthousiasme doctrinaire, dont il avait été lui-même animé, à un nombre d’ailleurs toujours restreint de jeunes gens, ses disciples, Mazzini avait cru que ses abstractions suffisaient pour enlever les masses. Il n’a jamais compris que les masses ne se mettent en mouvement que lorsqu’elles y sont poussées par des puissances, — à la fois intérêts et principes, — qui émanent de leur propre vie, et que des abstractions nées en dehors de cette vie ne pourront jamais exercer sur elles cette action. Trompé par cette constante illusion de sa vie, il a cru jusqu’au dernier moment qu’on pouvait faire une révolution par un coup de surprise, et qu’une prise d’armes spontanée et simultanée par quelques cen-