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LA SOCIÉTÉ NOUVELLE

Or, les restaurateurs font exactement le contraire de tout cela. Ils croient qu’aujourd’hui il est possible à tout architecte, quelque peu habile, de s’occuper avec succès d’ouvrages anciens, sans préparation, qu’alors que tout s’est transformé, autour de nous, depuis le XIIIe siècle par exemple, l’art seul n’a pas changé et que nos artisans peuvent façonner un travail identique à celui du XIIIe siècle ; enfin que la surface effritée, sous l’action du temps, d’un vieux bâtiment, n’a aucun mérite et qu’il faut la faire disparaître partout où cela est possible.

Vous voyez, le problème est difficile à discuter, car il semble qu’il n’y ait aucune base commune entre restaurateurs et anti-restaurateurs. J’en appelle donc au public et je le prie de remarquer que, quoique notre opinion puisse être fausse, les faits que nous signalons ne présentent aucune urgence. Laissons la question encore dormir quelque temps. Si, comme nous le réclamons toujours, on prend convenablement soin de ces monuments pour qu’ils ne tombent pas en ruines, ils seront toujours là pour les « restaurer » lorsqu’on le jugera nécessaire et qu’on aura prouvé que nous avons tort. Mais s’il se faisait que nous avons raison, comment « restaurer » alors les bâtiments restaurés ? Il vaut mieux ne pas discuter la chose, jusqu’au jour où l’art sera assez développé parmi nous pour que nous puissions nous en occuper en connaissance de cause, lorsqu’il n’y aura plus aucun doute à cet égard.

À coup sûr ces monuments de notre art et de notre histoire qui, quoi qu’en disent les hommes de loi, n’appartiennent ni à une coterie, ni çà et là à quelque riche, mais à la nation en général, méritent qu’on leur accorde cet ajournement. À coup sûr les derniers vestiges de la vie « des hommes fameux et de nos pères qui nous ont engendrés » peuvent, à juste titre, revendiquer ce peu de patience.

Tous ces soins pour nos possessions nous causeront incontestablement des embarras Mais d’autres, plus graves, nous attendent. Je dois, en effet, parler maintenant d’autres choses, de biens qui devraient nous être communs à tous, de l’herbe verte, des feuillages et des eaux, de la lumière et de l’air même du ciel. Le siècle du commerce a été trop affairé pour y prendre garde Et d’abord, permettez-moi de vous rappeler que je suppose que chacun de vous ici présent professe le respect de l’art.

Eh bien, il y a parmi vous des hommes riches, que nous appelons, assez mal à propos, des manufacturiers, entendant par là des capitalistes qui payent d’autres hommes pour s’établir manufacturiers. Ces messieurs, dont beaucoup achètent des tableaux et se réclament de l’art, brûlent des quantités de charbons. Il existe un acte, voté en vue d’empêcher en certain temps et en certains endroits de couvrir le pays d’un épais nuage de