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L’ESTHÉTIQUE DE LA VIE

ment dans la vie pour conserver un monument d’art, qui élèvera et cultivera l’esprit, non seulement de nous-mêmes, mais encore de nos fils, et des fils de nos fils, il devient oiseux et vain de parler d’art, et même d’éducation. D’une telle grossièreté il ne peut sortir que de la brutalité.

La même chose peut se dire des agrandissements et autres transformations, pour cause d’appropriation, d’anciens édifices, servant encore à quelque chose de comparable à leur destination originale. Dans presque tous ces cas, il ne s’agit en réalité que d’une question d’un peu d’argent pour l’acquisition d’un nouvel emplacement. Et puis, un nouveau bâtiment peut être construit et approprié exactement à l’usage auquel il est destiné, avec tout l’art que notre époque peut y appliquer. Ainsi le vieux monument reste pour nous dire son histoire, les changements et les progrès, pour nous servir d’exemple et d’enseignement dans la pratique des arts ; et l’avantage du public, le progrès de l’art moderne et la cause de l’éducation se trouvent favorisés à la fois à peu de frais.

S’il importe que nous nous occupions des œuvres d’art de notre temps, dont le nombre peut s’accroître indéfiniment, tant que nous serons en vie, il importe évidemment que nous consacrions un peu de soin, de prévoyance et d’argent à la préservation de l’art des âges passés. De celui-là (si précieux cependant) il nous reste bien peu d’éléments, et jamais, quelle que soit la fortune où le monde puisse arriver, nous n’en aurons davantage.

Celui qui consent à la destruction ou à la mutilation d’un vieil édifice n’a pas le droit de prétendre qu’il a le souci de l’art. Il n’a d’autre excuse à faire valoir pour son crime contre la civilisation et contre le progrès, qu’une ignorance absolument épaisse.

Avant de quitter ce sujet, il est nécessaire de dire quelques mots de cette curieuse invention de nos jours, appelée restauration, méthode d’arranger les œuvres du passé. Quoiqu’elle ne soit pas d’un caractère aussi dégradant que la destruction pure et simple, elle ne vaut cependant pas mieux dans ses effets sur l’état des œuvres d’art. Il est clair que je n’ai pas le temps de développer cette question ce soir. Je me bornerai donc aux quelques propositions qui suivent :

Que les anciens édifices, qui sont à la fois des œuvres d’art et des monuments historiques, doivent toujours être traités avec le plus grand soin et la plus grande délicatesse ; que l’art imitatif de notre temps est, et ne peut être la même chose que l’art ancien et ne peut le remplacer ; qu’en superposant, par conséquent, ce travail à l’ancien, ce dernier disparaît et comme œuvre d’art et comme souvenir historique ; enfin, qu’une surface de bâtiment, effritée sous l’action du temps, est belle, et sa perte un fait regrettable.