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L’ANTÉCHRIST


ESSAI D’UNE CRITIQUE DU CHRISTIANISME[1]


LVIII


Il faut en effet considérer pour quel but on ment : il est bien différent si c’est pour conserver ou pour détruire. On peut mettre complètement en parallèle le chrétien et l’anarchiste : leurs buts, leurs instincts ne sont que destructeurs. L’histoire démontre cette affirmation avec une précision épouvantable. Nous avons vu tout à l’heure une législation religieuse ayant pour but d’« éterniser » une grande organisation de la société, condition supérieure pour faire prospérer la vie ; — le christianisme au contraire a trouvé sa mission dans la destruction d’un pareil organisme, puisque la vie y prospérait. Là-bas les résultats de la raison durant de longues années d’expérience et d’incertitude devaient être semés pour servir dans les temps les plus lointains et la récolte devait être aussi grande, aussi abondante, aussi complète que possible : ici l’on voudrait, au contraire, empoisonner la récolte pendant la nuit… Ce qui existait aere perennius, l’Empire romain, la plus grandiose forme d’organisation, sous des conditions difficiles, qui ait jamais été atteinte, tellement grandiose que, comparé à elle, tout ce qui l’a précédé et tout ce qui l’a suivi n’a été que dilettantisme, chose imparfaite et gâchée, — ces saints anarchistes se sont fait une « piété » de détruire « le monde » c’est-à-dire l’Empire romain, jusqu’à ce qu’il n’en restât plus pierre sur pierre, — jusqu’à ce que les Germains mêmes et d’autres lourdauds aient pu s’en rendre maître… Le chrétien et l’anarchiste sont décadents tous deux, tous deux incapables d’agir autrement que d’une façon dissolvante, venimeuse, étiolante, partout ils épuisent le sang, ils ont tous deux, par instinct, une haine à mort contre tout ce qui existe, tout ce qui est grand, tout ce qui a de la durée, tout ce qui promet de l’avenir à la vie… Le christia-

  1. Suite et fin. Voir les numéros 121, 122 et 123 de la Société nouvelle (janvier, février, mars et mai 1895).