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L’ANTÉCHRIST


ESSAI D’UNE CRITIQUE DU CHRISTIANISME[1]


XXXIX


Je reviens sur mes pas, je raconte la véritable histoire du christianisme. Le mot « christianisme » déjà est un malentendu ; au fond il n’y a eu qu’un seul chrétien, et il est mort sur la croix. L’« Évangile » est mort sur la croix. Ce qui, depuis ce moment, est appelé « évangile », était déjà le contraire de ce que le Christ avait vécu : un « mauvais message », un dysangelium. Il est faux jusqu’au non-sens de voir en une « foi », par exemple, la foi au salut par le Christ, le signe distinctif du chrétien : Ce n’est que la pratique chrétienne, la vie que vécut celui qui mourut en croix, qui est chrétien… De nos jours encore une vie pareille est possible à certains hommes, nécessaire même : le christianisme véritable et primitif sera possible à toutes les époques… Non une foi différente, mais un faire différent, ne pas faire certaines choses, surtout, une autre vie… Les états de conscience, une foi quelconque, par exemple, croire vrai une chose — tout psychologue le sait — tout cela est complètement indifférent et de cinquième ordre, en comparaison de la valeur des instincts : pour parler plus exactement, toute notion de causalité spirituelle est fausse. Réduire le fait d’être chrétien, le christianisme à un fait de croyance, à une simple phénoménalité de conscience, c’est ce qui s’appelle nier le christianisme. De fait il n’y a pas eu de chrétiens du tout. Le « chrétien », ce qui depuis deux mille ans s’appelle chrétien, n’est qu’un malentendu psychologique. À y regarder de plus près, malgré la « foi », les instincts seuls régnaient en lui — et quels instincts ! — La « foi » ne fut de tous temps, par exemple chez Luther, qu’un manteau, un prétexte, un voile, cachant le jeu des instincts, un aveuglement rusé sur le règne de certains instincts… La « foi », je l’ai déjà appelée la véritable prudence chrétienne ; on a toujours parlé de

  1. Suite. Voir le numéro 121 et 122 de la Société nouvelle (janvier et février 1895).