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MARIE BASHKIRTSEFF


« On pourra me suivre de l’enfance jusqu’à la mort. La vie d’une personne, une vie entière, sans déguisement ni mensonge, est toujours chose grande et intéressante. » C’est ainsi que Marie Bashkirtseff offre au public le journal de sa courte mais précieuse existence. Ce journal ne pouvait être et ne fut publié qu’après sa mort, ce qui présume sa sincérité. Une telle œuvre, ajoute-t-elle, doit être sincère ou n’a pas de raison d’être. Du reste, cela se verra bien que je dis tout.

Elle a su réaliser ce miracle : Faire une œuvre vivante avec sa simple vie, ou osant, en sachant être sincère.

Marie Bashkirtseff mourut à 23 ans, mais elle ne croyait qu’à la vie. On ne saurait penser qu’elle a noté dans ces pages, au jour le jour, tant de pensées heureuses, de rêves et d’espérances enfantines avec l’idée obsédante d écrire pour la mort Ce qu’elle voulait, c’est se raconter à elle-même ; aussi bien, savait elle trop peu s’oublier pour ne pas nous oublier complètement.

Ce journal, publié par les soins d’A. Theuriet, est une œuvre étrange et complexe, saisissante et vraiment touchante ; non pas pourtant une œuvre d’art littéraire. Marie Bashkirtseff était peintre ; comme écrivain elle s’ignore ; ce n’était qu’une enfant : son style ni ses pensées n’ont rien rénové mais son œuvre a l’originalité délicate de sa personne. Et ce n’est comme elle l’a voulu qu’un document humain, le témoignage d’une vie.

Celui que n’intéresse pas la vie pour elle-même n’aurait que faire de lire ces pages. Cela dure et c’est toujours la même chose, comme les battements mêmes d’un cœur. Mais d’autres ne cesseront de l’écouter comme un mystérieux et fraternel langage :

C’est que cette vie, ardente d’un des plus grands amours de gloire et de beauté qui aient jamais embrasé âme humaine, fut plus belle qu’un rêve ; c’est que l’enfant, en la racontant le soir dans la solitude de sa chambre, a su trouver pour la peindre des mots de vérité et d’humanité profondes ;