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tude devant les juges, devant les bourreaux, devant les accusateurs et toute espèce de calomnie et d’outrages — son attitude sur la croix. Il ne résiste pas, il ne défend pas son droit, il ne fait pas un pas pour éloigner de lui la chose extrême, plus encore, il la provoque… Et il prie, souffre et aime avec ceux qui lui font du mal… Ne point se défendre, ne point se mettre en colère, ne point rendre responsable… Mais point non plus résister au mal, — l’aimer…


XXXVI


Nous, les tous premiers, nous autres « esprits libérés », nous possédons les conditions nécessaires à comprendre quelque chose que dix-neuf siècles ont mal interprété, — cet esprit de justice devenu instinct et passion, qui fait la guerre au « saint mensonge » davantage encore qu’à tout autre mensonge… On était indiciblement loin de notre neutralité bienveillante et circonspecte, de cette discipline de l’esprit qui permit seule de deviner des choses si éloignées et si subtiles : avec un égoïsme effronté on voulut, de tous temps, n’y trouver que son propre avantage, de la contradiction avec l’Évangile on a édifié l’Église

Quiconque chercherait encore des signes, pour se persuader que derrière le grand théâtre du monde une divinité ironique agite ses doigts, ne trouverait pas un petit argument dans ce gigantesque point d’interrogation qu’est le christianisme. L’humanité se met à genoux devant le contraire de ce qui était l’origine, le sens, le droit de l’Évangile ; elle a sanctifié dans l’idée d’« Église » ce que précisément le « joyeux messager » considérait comme au-dessous, comme derrière lui. — On cherche en vain une plus grande forme de l’ironie historique.


XXXVII


Notre époque est fière de son sens historique : comment a-t-elle pu se laisser persuader de cette insanité, qu’il se trouve au seuil du christianisme une grossière fable de sauveur et de faiseur de miracles, et que tout ce qui est spirituel et symbolique ne s’est développé que plus tard ? Bien au contraire : l’histoire du christianisme — depuis la mort sur la croix — est l’histoire d’une graduelle interprétation toujours plus fausse et plus grossière du symbolisme primitif. Chaque fois que le christianisme se répandait sur des masses plus compactes et plus grossières qui comprenaient toujours moins les conditions premières dont il était né, il devenait nécessaire de vulgariser le christianisme, de le barbariser, — il a absorbé en lui des dogmes et des rites de tous les cultes souterrains de l’empire Romain, le non-sens