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ce siècle. Les groupements se forment si naturellement, ils s’étendent et se fusionnent si rapidement, ils dérivent si évidemment de l’accroissement des besoins et des facultés de l’homme civilisé, ils remplacent si bien l’intervention de l’État, que nous devons les considérer comme un facteur nouveau et important dans notre existence. Le progrès moderne tend réellement à confier à des agrégations libres d’individus libres, tous les services dont l’État avait la gestion et dont il s’acquittait le plus souvent très mal.

Quant à la législation parlementaire et au gouvernement représentatif, ils tombent rapidement en désuétude. Les quelques penseurs qui les ont battus en brèche n’ont pas assez insisté sur la défaveur croissante de l’opinion publique. On commence à comprendre qu’il est tout simplement puéril d’élire certains hommes pour fabriquer des lois sur tous les sujets possibles, sujets dont la plupart ignorent le premier mot ; on commence à entrevoir que le gouvernement de la majorité n’est pas moins défectueux que les autres, et l’humanité cherche et trouve de nouvelles solutions pour résoudre les questions pendantes. L’Union postale n’a pas élu de parlement international pour réglementer toutes les organisations postales qui adhèrent à l’Union. Les chemins de fer européens n’ont pas élu de parlement international pour régler la marche des trains et répartir les bénéfices. Les associations météorologiques n’ont pas élu de parlement pour fonder des stations polaires, et les géologues n’ont pas élu un pouvoir pour déterminer la classification des formations géologiques ou pour teinter uniformément les cartes. Tous procèdent par voie d’arrangements amiables et si l’on a recours à des congrès et qu’on y envoie des délégués, ce ne sont pas des membres du parlement, « bons à tout faire », auxquels on aurait dit : « Votez comme vous l’entendrez, nous vous obéirons ! » Ce n’est pas un mandat de législateur qu’on leur confère. On commence par discuter soi-même les questions à l’ordre du jour : puis, on prend des hommes connaissant la question spéciale qui sera discutée au Congrès, et l’on envoie des délégués — non pas des députés. Et ces délégués, en revenant du Congrès, rapportent à leurs mandataires, non pas une loi dans la poche, mais une proposition d’entente, qui sera acceptée par eux, ou non. Tels sont les usages déjà en pratique actuellement (ils sont aussi très anciens) pour nombre de choses d’intérêt public, et ces usages remplacent déjà les lois bâclées par un gouvernement représentatif. Le gouvernement représentatif a fait son temps et accompli sa mission historique. Il a porté un coup mortel à l’autorité monarchique et, par ses débats, intéressé les citoyens aux affaires publiques. Mais ce serait commettre une erreur grossière que de le considérer comme le gouvernement de la société future. À toute phase économique il faut une phase politique correspondante, et il est impossible de toucher au système écono-