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d’autres plus modestes ; des sociétés de gymnastique, de sténographie : des sociétés qui se proposent d’étudier un auteur unique, des sociétés athlétiques et de jeux ; les unes, se préoccupant des moyens de conserver la vie, d’autres des moyens de la détruire ; des sociétés philosophiques, industrielles, artistiques et anti-artistiques, de travail sérieux et de simple amusement. En un mot, il n’est pas pour les hommes un champ d’activité où ils ne cherchent à travailler de concert, combinant leurs efforts vers un but commun. Tous les jours de nouvelles associations se forment, tous les jours d’anciennes associations se fédèrent à travers les frontières et coopèrent à de communs travaux. Voilà la tendance de notre siècle.

Ce qui frappe le plus dans ces institutions modernes, c’est qu’elles ne cessent d’empiéter sur l’ancien domaine de l’État ou de la municipalité. Le moindre propriétaire d’une maison, sur les bords du Léman, est membre d’une douzaine de sociétés différentes, fondées pour satisfaire à des besoins qui, ailleurs, sont du domaine des fonctions municipales. La fédération libre de communes indépendantes pour des fins temporaires ou permanentes, se retrouve au fond du régime civil en Suisse. C’est aux fédérations que ce pays doit en maint canton ses routes et ses fontaines, ses riches vignobles, ses forêts bien aménagées et ses prairies qu’admire le voyageur. En dehors de ces sociétés qui se substituent à l’État dans une sphère limitée, on en voit d’autres opérant de la même manière, mais sur une plus large échelle. En Angleterre, le soin de défendre le territoire, c’est-à-dire la fonction capitale de l’État, incombe en grande partie à une armée de volontaires, qui résisterait certainement à n’importe qu’elle armée d’esclaves commandés par un despote. Bien plus, on parle sérieusement d’une association pour la défense des côtes. Qu’elle se fonde ! et certainement elle deviendra une arme plus sûre pour la défense que les cuirassés de la flotte. Une des sociétés les plus en vue cependant, quoique récemment organisée, est celle de la Croix-Rouge. Coucher les hommes sur les champs de bataille, c’est l’État qui s’en charge ; mais ce même État se déclare impuissant à prendre soin des blessés. Il abandonne en grande partie cette tâche à l’initiative particulière. Quel débordement de sarcasmes aurait assailli le pauvre utopiste qui, il y a vingt-cinq ans, se serait permis d’avancer que le soin des blessés pourrait être confié à des associations privées ! « Personne n’irait où serait le danger ! Les infirmiers se trouveraient partout excepté où l’on en aurait besoin ! Les rivalités nationales feraient que les blessés mourraient sans aucun secours ! » On aurait dit cela et bien d’autres choses. La guerre de 1871 a prouvé combien sont perspicaces ces prophètes qui ne croient jamais à l’intelligence, au dévouement et au bon sens humains.

Ces faits si nombreux et si habituels qu’on ne les mentionne même pas, sont, à notre avis, un des traits les plus saillants de la seconde moitié de