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quels il repose sont : d’abord, une hypertrophie de la sensibilité, qui s’exprime par une faculté de souffrir raffinée, ensuite une hyperspiritualisation, une vie trop prolongée parmi les concepts et les procédures logiques, où l’instinct personnel a été lésé en faveur de l’impersonnalité. (— Deux états que du moins quelques-uns de mes lecteurs, les « objectifs » comme moi, connaissent par expérience). En raison de ces conditions physiologiques, une dépression s’est formée, contre laquelle Bouddha procède hygiéniquement. Il emploie comme remède la vie en plein air, la vie ambulatoire, la tempérance et le choix des aliments, des précautions contre les spiritueux, contre tous les états affectifs qui font de la bile, qui échauffent le sang. Point de soucis, ni pour soi ni pour les autres !

Il exige des représentations qui procurent soit le repos, soit la gaîté, il invente le moyen de se débarrasser des autres. Il entend la bonté, le fait d’être bon, comme favorable à la santé. La prière est exclue, tout comme l’ascétisme ; pas d’impératif catégorique, aucune contrainte, pas même dans la communauté claustrale (on peut de nouveau en sortir). Tout cela ne seraient que des moyens pour renforcer cette trop grande sensibilité. C’est pourquoi il n’exige non plus la lutte contre les hérétiques ; sa doctrine ne se défend de rien davantage que du sentiment de vengeance, de l’aversion, du ressentiment[1], (« l’inimitié ne met pas fin à l’inimitié » : c’est le touchant refrain de tout le bouddhisme…). Et cela avec raison : En considération de l’intention principale, diététique, ces émotions seraient tout à fait malsains. Il combat la fatigue spirituelle qu’il trouve à son arrivée et qui s’exprime par une trop grande « objectivité » (c’est-à-dire affaiblissement de l’intérêt individuel, perte de l’équilibre, de l’égoïsme) par un sévère retour, même des intérêts spirituels, sur la personnalité. Dans l’enseignement de Bouddha, l’égoïsme devient un devoir : la « seule chose nécessaire ». Comment on se dégage de la souffrance, c’est ce qui règle et délimite toute la diète spirituelle (il est peut-être permis de se rappeler cet Athénien qui déclarait également la guerre à « la science pure », Socrate qui, dans le domaine des problèmes, éleva l’égoïsme personnel à la hauteur d’un principe de morale).


XXI


La première condition pour le bouddhisme est un climat très doux, une grande douceur et une grande libéralité dans les mœurs. Pas de militarisme, le mouvement a son foyer dans les castes supérieures, même

  1. Ressentiment, en français dans le texte. Ce mot revient très souvent dans les derniers écrits de Nietzsche, tout comme décadence, qui se trouve presque à chaque page. (N. du Τ.)