Certes, il ne faut pas se laisser aller à l’absurde fantaisie de dénigrer la science. La découverte d’une brique babylonienne ou d’une étamine rudimentaire de fleur doit nous réjouir quand le savant, rattachant ce fait minime en apparence à tout un ensemble d’autres faits, démontre l’importance de la trouvaille ; mais plus que la science, il convient d’admirer et d’apprécier l’équilibre de l’intelligence qui permet de juger la valeur relative des idées, de les classer suivant leur véritable importance ; à cet égard, mille observateurs constatent que le monde des étudiants, spécialisé dans son travail, néglige beaucoup plus que les ouvriers l’étude par excellence, celle de la question sociale, et se trouve, par conséquent, singulièrement distancé comme part d’influence sur les destinées communes. Et ce n’est pas là un fait particulier à la jeunesse de langues latines ; il est même probable qu’à cet égard elle reste supérieure par l’esprit évolutionnaire — ou révolutionnaire, comme on voudra — à la foule enrégimentée des étudiants d’Allemagne et aux young scholars des universités d’Amérique. Les socialistes se comptent par millions au-delà des Vosges, et cependant deux ou trois jeunes gens à peine, fort timorés d’ailleurs, osent parfois se réunir à l’écart, loin des buveurs de bière, dans telle grande université comprenant des milliers d’étudiants. À l’école américaine de Harvard, où 3 200 élèves sont réunis, les novateurs sont plus nombreux, mais sans avoir encore osé se dégager des formules chrétiennes : lors d’un vote récent, deux seulement déclarèrent n’appartenir à aucun des cultes énumérés dans la statistique des États-Unis. C’est peut-être dans l’aristocratique Angleterre que les esprits sont les plus libres.
Mais quelles sont donc les causes de cette sagesse conservatrice des jeunes, tout à fait en désaccord avec le mouvement du siècle ? Les professeurs eux-mêmes les signalent, mais tel est l’engrenage social que le mécanisme universitaire se maintient fatalement avec toutes ses conséquences. Il est certain que dès le premier jour d’école, la vie normale de l’enfant se trouve faussée. Que dire d’une éducation qui risque de déjeter l’épine dorsale, de diminuer l’acuité de la vue, de pervertir les appétences, d’affaiblir la virilité ? Ne va-t-elle pas précisément à l’encontre de ce qui fut de tout temps, aux yeux des simples, le but principal de l’entraînement, la force, la grâce et la beauté ? Les Indiens du Nouveau Monde et les naturels de l’Australie, aussi bien que les ancêtres grecs s’accordaient à rechercher pour leurs jeunes gens une vie de grand air, de courses et d’exercice, qui en faisait des hommes adroits, dispos, resplendissants de vigueur. Et chez nous, n’est-ce pas très souvent l’adolescent le plus dévotieusement couvé qui est en même temps le plus triste échantillon d’humanité musculaire ? La statistique médicale nous ment-elle en affirmant que plus de la moitié