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assez petites pour être notablement agitées par les chocs moléculaires ? Cette question aurait pu conduire à la découverte du phénomène merveilleux qui fut signalé par le botaniste Brown, il y a trois quarts de siècle.


MOUVEMENT BROWNIEN


Il suffit, en effet, de regarder au microscope de petites particules situées dans de l’eau, pour voir que chacune d’elles, au lieu de tomber régulièrement comme fait une bille qu’on met dans de l’eau, est animée d’un mouvement très vif et parfaitement désordonné : elle va et vient en tournoyant, monte, descend, remonte encore, bref, reste constamment agitée. C’est là le mouvement brownien.

Ce mouvement ne ressemble pas à celui des poussières qu’on voit, à l’œil nu, danser dans un rayon de soleil. En ce cas, en effet, des particules voisines se meuvent à peu près dans le même sens et dessinent grossièrement la forme des courants d’air qui les entraînent. Au contraire, il est impossible d’observer le mouvement brownien sans s’apercevoir que deux particules, même presque au contact, se meuvent de façon complètement indépendante. L’agitation ne peut donc être due à des trépidations de la gouttelette observée, car ces trépidations, quand on en produit exprès, provoquent précisément des déplacements d’ensemble que l’on reconnaît sans hésitation, et qu’on voit simplement se superposer à l’agitation irrégulière des grains. Il ne sert à rien non plus de se donner beaucoup de peine pour assurer l’uniformité de température de la gouttelette, ou de diminuer extrêmement l’intensité de la lumière qui l’éclaire.

On voit sur la figure, à un grossissement tel que 16 divisions représentent un vingtième de millimètre, trois dessins obtenus en suivant une sphérule dont le diamètre était de un micron, pointant sa position de demi-minute en demi-minute, et joignant par des segments rectilignes les positions successives ainsi notées.

Mais ces dessins ne donnent qu’une faible idée de l’enchevêtrement réel de la trajectoire. Si, en effet, on avait fait des pointés de seconde en seconde, chaque segment eût été remplacé par un contour polygonal relativement aussi compliqué que le dessin entier, et ainsi de suite.

Le mouvement brownien n’est pas, bien entendu, particulier à l’eau et se retrouve dans tous les fluides, d’autant plus vif qu’ils sont moins visqueux. C’est ainsi que, difficile à percevoir dans la glycérine, il est bien plus marqué dans l’air que dans l’eau (comme on le voit, au microscope, sur les gouttelettes qui forment la fumée de tabac).

La nature des grains ne paraît pas avoir d’influence, mais leur taille en a beaucoup, l’agitation devenant d’autant plus vive que les grains deviennent plus petits. Enfin, et ceci est peut-être le plus étrange, le mouvement brownien ne s’arrête jamais ; dans une cellule close (pour éviter l’évaporation) on a pu l’observer pendant plusieurs mois. Il se manifeste dans des inclusions liquides enfermées depuis des milliers d’années dans des cristaux de quartz. Il est éternel et spontané.

Bref, l’agitation n’a son origine ni dans les particules ni dans une cause extérieure au fluide, mais doit être attribuée à des mouvements intérieurs, caractéristiques de l’état fluide, et que la poussière indicatrice suit d’autant plus fidèlement qu’elle est plus petite. Le repos apparent de ce que nous appelons un liquide en équilibre n’est qu’une illusion due à l’imperfection de nos sens et correspond réellement à un certain régime permanent de violente agitation désordonnée.

C’est précisément la conception que nous avaient suggérées les hypothèses moléculaires et le phénomène de la diffusion. Tout granule situé dans un fluide, sans cesse heurté par les molécules voisines, en reçoit des impulsions qui, en général, ne s’équilibrent pas exactement, et il doit être irrégulièrement ballotté.

Si l’agitation moléculaire est bien la