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1ère ANNÉE. SAMEDI 5 MAI 1860. No 9.
LA SAVOIE DU NORD
JOURNAL POLITIQUE & COMMERCIAL
PARAISSANT À BONNEVILLE LE SAMEDI
ABONNEMENTS:

Pour les États Sardes, 5 fr.; pour l’étranger, 7 fr.

On s’abonne, à Bonneville, à l’imprimerie ; à Genève, chez
M. Hahn, 2, 4ème étage et chez tous les libraires.

ANNONCES:

10 centimes la ligne. Réclames : 50 centimes la ligne.

Les lettres et envois doivent être adressés franco au
bureau du journal, imprimerie Hahn.


La Savoie du Nord cessant de paraître, les abonnés seront servis par l’Indicateur, nouveau journal hebdomadaire, qui paraîtra prochainement à Bonneville avec les mêmes conditions.

Quand il est devenu certain que la Savoie allait être détachée de la monarchie sarde et que les populations devaient être consultées sur leurs destinées futures, nous avons fondé notre journal pour établir la différence profonde qui existait entre le nord et le midi de la Savoie.

Confiants dans les déclarations officielles des deux gouvernements, nous avons cru à la loyauté de l’appel qu’on promettait de nous faire et nous avons pris pour mission de réclamer les conditions essentielles à la libre manifestation du vœu populaire.

Ces conditions étaient données par l’évidence elle-même : 1o vote séparé pour le nord et pour le midi de la Savoie ; 2o libre manifestation de la nationalité que nous voulions choisir.

Tout nous a été refusé et il nous a été défendu de porter dans l’urne le nom de la Suisse auquel s’attachaient nos sympathies et nos intérêts. Nous pouvons donc dire avec les présidents des comités savoisiens : nous ne sommes pas vaincus, nous sommes victimes.

Aujourd’hui la force a décidé contre nous ; notre tâche est finie. Nous nous retirons de la lice, emportant la ferme conviction d’avoir défendu les vrais intérêts de notre pays. Devant l’urne qui vient de se fermer, nous soutenons toujours que nous avons eu et que nous avons encore actuellement l’adhésion de la grande majorité de nos concitoyens. Nous n’en voulons d’autre preuve que l’élan spontané, l’empressement avec lequel les populations de la Savoie du nord signaient les adresses pour demander leur annexion à la Suisse, et l’énergie avec laquelle elles repoussaient la pétition qu’on leur présentait pour leur annexion à la France.

Alors le vote était libre ; alors aucune pression n’était encore venue violenter nos sympathies.

Aujourd’hui la comédie est jouée. La France n’a pas voulu accepter la lutte et, pour la première fois, elle a vaincu sans oser affronter ses adversaires.

Aujourd’hui notre sort est entre les mains de la diplomatie européenne ; notre mission est terminée. Il ne nous reste plus, en quittant la rédaction du journal, qu’à souhaiter à notre pays bien-aimé, dans les conditions encore inconnues qui vont lui être faites, le calme, le bien-être et la liberté que lui offrait la patrie de Guillaume Tell.

Les rédacteurs : Bard Joseph, avocat.
Warchex François, avocat.
Clert-Biron Edgard, avocat.

La Savoie se meurt ; la Savoie est morte ! Pauvre mère ! Elle vient de rendre son dernier râle d’agonie, seule, délaissée, trahie par ses enfants après 8 siècles de glorieuse existence. Seuls entre tous, nous sommes restés auprès de la couche mortuaire ; seuls entre tous, nous avons recueilli ses derniers soupirs, tandis que ses autres fils chantaient autour d’un nouvel étendard.

Cependant un fantôme veillait dans l’ombre près de nous.

C’était l’homme noir.

Cet homme, comme le spectre rouge du Louvre, toujours apparût aux jours néfastes de notre histoire. Depuis quelques temps, nous l’avions vu, la nuit, parcourant les vallées, gravissant les montagnes, visitant les chaumières ; enveloppé dans un manteau sombre, un large chapeau cachant son œil vitreux et sa face livide, soufflant la discorde et semant la révolte. Cœur eunuque, sans patrie, sans famille, sans amour, cet homme n’eût jamais que deux passions ; l’or et la haine. Nous l’avons rencontré, toujours insultant le malheur, écrasant le faible, lâchement aplati sur les marches d’un trône, vendant le peuple à l’encan. Nous l’avons vu prosterné aux pieds de celui qui fut pendant vingt ans le maître du monde et l’appelant Moïse ; nous l’avons vu, à la chute du colosse, baver sur sa statue et maudire sa mémoire ; nous l’avons vu, aux jours de l’émeute victorieuse, embrasser l’ouvrier sur sa plaie béante ; nous l’avons vu, aux jours de la défaite, demander le sang des révoltés et repousser le bras levé pour le pardon. Nous l’avons vu, enfin, bénissant l’arbre de la liberté et se coiffant du bonnet de la déesse ; nous l’avons vu, le lendemain, passer devant les proscrits et les appeler des lâches.

Cet homme était venu assister aux funérailles de sa victime.


FRANCE et SUISSE

Quand on étudie l’histoire, on voit que presque toutes les nations ont vécu d’une vie tout individuelle, sans intérêt pour l’humanité et sans influence sur ses destinées. Ces nations s’éteignent, se transforment, tombent en décadence, sont absorbées par d’autres nations plus fortes, ne léguant à la postérité que le souvenir de quelques faits et le nom de quelques hommes.

Mais, à côté du grand nombre, on trouve quelques peuples d’élite qui tour à tour ont été les représentants de l’humanité et auxquels le destin avait donné une mission qu’ils devaient accomplir pour le bonheur de tous. La vie de ces peuples intéressait tous les hommes.