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aussi bien appartenir à la Belgique que la Belgique à la France, suivant que la force se déplacerait.

En se basant sur la communauté de langues, l’Alsace devrait retourner à l’Allemagne. Sous le nom de Panslavisme, la Russie qui se fonde pour s’agrandir sur la commune origine avec des peuples divers, trouverait aussi une justification à son ambition.

Dans toutes ces énumérations qui ont plus ou moins raison d’être, il en est une que l’on met en oubli, c’est qu’au dessus de ces rapports de territoire et de langue, il y a l’indépendance, la volonté d’un peuple dont on ne peut faire abstraction; il y a les institutions dont il jouit, qu’il regarde comme un palladium de ses intérêts moraux, de sa dignité, auxquels il attache une valeur supérieure à toute autre considération, qui domine en lui toute autre affection.

A moins de l’assimiler à un troupeau, à un gibier devenu le prix d’une partie de chasse, un peuple, quelque faible qu’il soit ne peut sans son consentement être annexé à un autre.

Si la traite des noirs est une chose immorale, celle des blancs l’est-elle moins?

Si la souveraineté populaire est ici acceptée, reconnue comme un principe sacré, si l’Italie centrale à disposé librement de ses destinées, le principe invoqué à cet égard ne peut être contredit quand il s’agit de mon pays. Je ne reconnais à personne le droit d’en disposer à son gré.

Il ne peut y avoir au-delà des Alpes une morale différente de celle qui a été sanctionnée en deçà. Poser cette question c’est la résoudre.

Je ne puis croire que Napoléon, qui a fait appel au suffrage des Français, refuse cet hommage aux volontés populaires de la Savoie.

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Les principes de s’adultèrent pas au gré des intérêts.

L’Italie est maîtresse d’abandonner la Savoie, de rompre toute association avec elle, mais de là au droit de disposer de son sort, il n’y a aucune analogie; elle doit la laisser maîtresse d’elle-même, la livrer à sa propre initiative.

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Le jour où cette chambre aura cédé la Savoie à la France, elle se sera démentie elle-même; elle aura fait de la politique rétrospective; elle aura une sanction aux actes de la force contre la faiblesse, ce sera une négation de sa propre indépendance. Qu’elle y prenne garde, la politique a des vicissitudes souvent bien amères; elle donne lieu à des protestations sans fin de la part de ceux qui se trouvent ainsi lésés.

Après avoir partagé pendant plusieurs siècles vos destinées et vos périls, n’est-ce donc pas une dette d’honneur pour vous de ne pas disposer de la Savoie, de la laisser à sa propre initiative? Si, en 1848, le Piémont refusa toutes les offres de l’Autriche, s’il préféra de nouveau courir les hasards de la guerre plutôt que d’abandonner Venise, ce chevaleresque et noble trait de notre histoire sera-t-il aujourd’hui stérile, alors qu’il s’agit d’une soeur qui, bien que vieille, me semble avoir quelque droit à votre égard?

Quelque faible qu’il soit, un peuple ne doit pas être le rachat d’un autre. Il est inaliénable, il tient de Dieu ses droits que nul ne peut lui ravir.

Lorsque, sous le prétexte que Rome appartient au monde catholique, l’étranger lui déniait le droit de se fondre dans la famille italienne, d’avoir sa part d’indépendance politique, qui donc n’a pas protesté contre un pareil projet? A quel titre l’étranger avait-il le droit de disposer, dans l’intérêt d’autrui, des destinées de Rome? Pourquoi cette ville, plutôt que toute autre d’Espagne, de France, d’un état catholique quelconque, ne s’imposerait-elle pas l’obligation qu’elle fait infliger à la fille des Césars?

Si l’on tient à la sincérité des suffrages, que l’on fasse voter séparément les provinces; que la Savoie méridionale laisse la Savoie du nord libre de s’annexer à la Suisse, à la France, ou de se constituer indépendante, suivant qu’elle le jugera convenable. C’est à ce prix, à ce prix seul que la liberté des suffrages peut avoir un caractère d’honorabilité pour la nation préférée.

En limitant son vote à la France, on blesse tous les principes de l’indépendance des peuples; on ressemble à ce tuteur qui disait à sa pupille: «Je te laisse libre d’épouser qui tu voudras, mais à la condition que tu te marieras avec mon ami, auquel j’ai la plus grande obligation.»

Maintenant je demanderai au ministère si les discussions parlementaires auront lieu avant les élections savoisiennes relatives à la séparation du Piémont. N’ont-elles pas besoin d’être éclairées par cette assemblée? Peut-on les abandonner aux sophismes, aux erreur dont on ne cesse de les entourer?

Les populations des campagnes sont en général peu éclairées sur les intérêts politiques de leur pays. Il me semble, en conséquence, que la discussion relative à l’annexion de la Savoie à la France doit avoir lieu avant le vote que les habitants sont appelés à émettre (1)


(1) Vote motivé du député Chenal: «Je demande que la Savoie soit libre de voter pour rester Piémontaise, soit pour être annexée à la France ou à la Suisse, suivant qu’elle le jugera convenable.»