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1re ANNÉE
N° 7.
SAMEDI 14 AVRIL 1860.

LA SAVOIE DU NORD

JOURNAL POLITIQUE & COMMERCIAL
PARAISSANT À BONNEVILLE LE SAMEDI

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Nouvelle politique.

Pour nous, le grand, l’unique fait de la semaine est la prise de possession du Faucigny, opérée par M. Laity, sénateur et commissaire impérial.

Devant un événement aussi grave, toute autre chose s’efface : que nous importe les nouvelles politiques étrangères, la question du pape ou les affaires du Maroc en présence d’un acte qui fait entrer dans sa dernière phase la douloureuse agonie de l’indépendance nationale.

C’est le jour de Pâques que M. Laity a commencé l’occupation du Faucignv ; il a successivement visité La Roche, Bonneville, Cluses, Sallanches, Samt-Gervais, Taninges, Samoëns, Saint-Jeoire et Annemasse. — Nous avons reçu des correspondances de tous les chef-lieux de mandement.

La Roche. — M. Laity est attendu par le conseil municipal et par une poignée de gardes nationaux commandés par un lieutenant ; les autres officiers se sont refuses à ce service. À l’arrivée du char, M. le syndic se presse devant le commissaire impérial avec quelques membres du conseil communal, ouvre la portière et débite un petit discours. — Le discours de M. le syndic est à peine terminé que M. Puget jette un cri de vive l’empereur ; plusieurs voix répondent vive le roi, vive Victor-Emmanuel. On entend quelques cris de vive la Suisse. M. Laity arrive sur la place de l’Hôtel-de-Ville où stationnent des femmes et des enfants ; et de là il se rend au petit séminaire où les élèves le reçoivent en criant vive la France ; question de pensums. M. Laity part bientôt après.

On compte aux rares fenêtres qui sont pavoisées, 25 drapeaux et encore la plupart sont des drapeaux sardes ; la principale rue de la ville, celle qui est ordinairement la plus brillante dans les manifestations, la rue du Silence justifie son nom par son aspect triste et morne.

Nous sommes heureux de voir La Roche se réveiller ; on croyait ce pays mort, il n’était qu’endormi ; les citoyens de cette ville viennent de donner une éclatante leçon à certaines populations qui se prétendent plus avancées.

Ronneville.M. Laity arrive à 5 heures ; conseil communal, employés se précipitent vers sa voiture : on fait entrer le commissaire impérial au palais provincial pour lui faire savourer l’éloquence du crû : de là on le conduit à l’hôtel de la Couronne où est préparé un souper municipal. — l’as un cri de vive la France à l’arrivée de M. Laity. Quelques drapeaux pendent aux fenêtres, grâce à la nouvelle de la zone annoncée par une proclamation officielle. — Le soir, une illumination des plus tristes vient secouer ses lueurs ternes et éparses sur le deuil général. Une voix avinée essaie un vive l’empereur, deux ou trois claqueurs font écho et disent vive la France, quelques citoyens répondent vive le roi, puis tout retombe dans le silence. Bientôt arrive une bande de petits enfants qui font tinter des gros sous dans leurs poches et ne cessent de crier à bas les Suisses, jusqu’à ce qu’arrive l’heure ou les parents les mettent coucher. — El voilà comment Bonneville a fêté l’occupation française.

Cluses, Sallanche. Taninges. Saint-Jeoire, Annemasse présentent le même aspect — Partout quelques drapeaux français arborés par ordre des municipalités, partout quelques lampions isolés, vacillant, frissonnant à tous les vents ; partout quelques voix rauques faisant par un cri de vive l’empereur, vive la France, ressortir d’une manière plus vive la profondeur du silence général. Saint-Gervais et Samoëns se sont comportés comme on pouvait l’attendre de leurs populations montagnardes, les plus intelligentes et les plus indépendantes de notre pays. — Là, le commissaire impérial n’a trouvé personne pour ouvrir la portière de sa voiture ; là, aucun drapeau n’a flotté, aucun cri n’a retenti, et M. Laity a dit aller frapper à la porte du presbytère. — On cherche à lui faire croire que ces deux communes n’avaient pas été averties.

M. Laity n’a pas visité Chamonix, on lui a assuré qu’il n’y était pas attendu.

De ce voyage à travers nos communes, M. Laity rapportera des souvenirs et un enseignement.

Il a vu en dépit de toutes les promesses, en dépit de la pression des municipalités, en dépit des moyens qu’on avoue et de ceux qu’on ou n’avoue pas, que le peuple n’est pas partisan de l’annexion a la France. La froideur générale a dû le frapper. Les municipalités ont beau se multiplier, se donner du mouvement pour faire croire à l’enthousiasme et simuler des manifestations comme sur la scène on simule une nombreuse armée en faisant passer et repasser quelques comparses, comme Potemkin simulait des villages pour prouver à la tzarine que la Russie se peuplait ; les municipalités ne peuvent tromper un œil observateur : un homme honoré de la confiance de l’empereur voit le fond des choses et ne se laisse pas prendre à ces procédés de théâtre.

M. Laity a vu que, s’il est dans notre pays ambitieux, des trembleurs, des ventrus, des aveugles et des lâches toujours prêts à saluer tous les pouvoirs, le Faucigny a en retour une population intelligente qui rougit de toutes les humiliations