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qu’ils venaient de saisir, vidèrent celui qu’ils avaient eu jusqu’alors et qui était plus petit, y transportèrent des pierres, percèrent des trous et le firent sombrer. Dès que le vent fut favorable, ils cinglèrent vers la haute mer.

Voici, à ce que l’on raconte, ce qui serait arrivé aux hommes qui se sentaient subitement une force surhumaine ou que transportait la rage du « berserk ». Aussi longtemps que durait cet état, ils étaient si forts que rien ne leur résistait ; mais, dès que la fureur était apaisée, ils étaient plus faibles que d’habitude. Ce fut le cas pour Kveldulf. Lorsque la rage l’eut abandonné, il se sentit épuisé par la lutte qu’il avait soutenue. Il était tellement affaibli par tous ces efforts qu’il se coucha sur le lit. En attendant, le vent se montra propice pour gagner la haute mer.

Kveldulf commandait le bateau que l’on avait pris à Hallvard. Ils eurent un temps favorable et ils naviguèrent ensemble, en sorte que longtemps les uns pouvaient voir les autres. Lorsque la mer fut franchie, la fièvre de Kveldulf s’aggrava ; et comme son état empira jusqu’à le mettre en danger de mort, il réunit ses matelots autour de lui et leur dit que bientôt, à son avis, ils allaient sans doute suivre des chemins différents. « Jamais, » dit-il, « je n’ai souffert de maladie ; si — comme je m’y attends — il arrive que je meure, mettez-moi dans un cercueil et descendez-moi dans les flots. Les choses se passeront autrement que je ne me l’étais imaginé, si la destinée ne veut pas que j’arrive jusqu’en Islande pour y prendre possession d’un territoire. Saluez de ma part mon fils Grim, quand vous vous rencontrerez. S’il réussit à aborder en Islande et si le sort veut que j’y arrive avant lui — ce qui me paraît cependant peu probable — dites-lui qu’il établisse sa demeure le plus près possible de l’endroit où j’aurai touché terre. » Peu après Kveldulf mourut. Ses matelots firent comme il leur avait dit. Ils le déposèrent dans un cercueil qu’ils confièrent aux flots.

Il y avait un homme du nom de Grim ; il était fils de Thorir, fils de Ketil Kjölfari[1], de grande famille et riche, et faisait

  1. Kjölfari, le montagnard. Ketil doit ce surnom aux voyages qu’il fit jadis dans les régions montagneuses situées entre la Norvège et la Suède et connues sous le nom de Kjölr ou Kilir.