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même que les bas, se fendirent sur son corps. Le lendemain encore, Egil tint la chambre fermée ; sans prendre aucune nourriture ni boisson, il resta couché là toute la journée et la nuit suivante, et personne n’osait lui parler. Mais le matin du troisième jour, Asgerd fit monter un homme à cheval avec ordre de se rendre en toute hâte à Hjardarholt, dans l’ouest, et de faire part à Thorgerd de tous les événements récents. Il y arriva dans l’après-midi. À son récit, il ajouta qu’Asgerd la faisait prier de venir sans retard à Borg. Aussitôt, Thorgerd fit seller son cheval et se mit en route avec deux hommes. Ils chevauchèrent pendant la soirée et la nuit jusqu’à ce qu’ils eussent atteint Borg. Thorgerd entra immédiatement dans la salle du foyer. Asgerd lui souhaita la bienvenue et lui demanda si elle et ses compagnons avaient pris le repas du soir.

Thorgerd répondit à haute voix : « Je n’ai pris aucun repas du soir et je n’en prendrai point, si ce n’est chez Freyja[1]. Je ne sais qui pourrait, mieux que mon père, me donner conseil. Je ne veux pas survivre à mon père et à mon frère. »

Elle entra dans la chambre à coucher et appela : « Père, ouvre la porte ; je veux que nous allions nous deux le même chemin.

Egil tira le verrou. Thorgerd pénétra dans la chambre à coucher, fit refermer la porte et se coucha dans l’autre lit qui se trouvait dans la place.

Alors Egil dit : « Tu agis bien, ma fille, en voulant suivre ton père ; tu m’as témoigné une grande affection ; qui peut supposer que je veuille vivre sous le poids d’une pareille douleur ? »

Sur ces mots, ils se turent pendant quelques instants.

Ensuite Egil reprit : « Qu’y a-t-il donc, ma fille ? Est-ce que tu mâches quelque chose ? »

« Je mâche du varec, » répondit-elle, « parce que je pense que je me sentirai alors plus mal encore ; sinon, je crois que je vivrais trop longtemps. »

« Cela est-il nuisible à l’homme ? » demanda Egil.

  1. Ce détail peut faire supposer que les femmes en mourant étaient reçues au palais de Freyja (une asýnja, fille de Njörd et sœur de Freyr), déesse de l’amour conjugal. Les chants de l’Edda attestent, d’autre part, que la moitié des héros tombés dans les combats entraient chez Odin, l’autre moitié chez Freyja.