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soirée touchait à sa fin, il se fit que beaucoup d’hommes d’Ölvir se sentaient incapables de marcher ; les uns tombèrent malades dans la salle même, les autres se traînèrent jusqu’au dehors. Bard ne cessa pas de leur apporter à boire. Alors Egil saisit la corne que Bard venait de présenter à Ölvir et la but à fond. Bard, constatant qu’il avait grand’soif, lui apporta tout aussitôt une autre corne remplie en l’invitant à boire. Egil saisit la corne et dit ces vers :

Tu m’as dit, valeureux guerrier,
Que la bière te manquait ;
Et cependant tu viens de sacrifier aux Dises.
C’est pourquoi je t’appelle astucieux.
Tu as beaucoup trop mal dissimulé
Tes méchantes intentions à l’égard d’inconnus.
C’est une mauvaise action, Bard,
Que tu viens d’accomplir.

Bard l’incita à boire, lui disant de mettre fin à ses sarcasmes. Egil vidait la corne chaque fois qu’elle lui était présentée, et Ölvir faisait de même. Alors Bard s’approcha de la reine pour lui dire qu’il y avait là un homme qui leur jetait l’opprobre à la face et qui, en dépit de ce qu’il buvait, prétendait toujours avoir soif. La reine et Bard mêlèrent du poison au breuvage et l’apportèrent dans la salle. Bard consacra la coupe et la remit à la femme qui versait à boire. Celle-ci la porta à Egil en l’invitant à boire. Egil tira alors son couteau, l’enfonça dans la paume de sa main, prit la corne et y grava des runes[1] qu’il enduisit de sang. Il dit :

Je taille la rune dans la corne.
Je rougis de sang les caractères.
Je fais un choix de mots
Pour les graver dans la corne.
Je bois, comme il me plaît,
La bière des joyeuses jeunes filles.
Je veux savoir l’effet que fera sur nous
La boisson consacrée par Bard.

  1. Les caractères runiques, que les Germains avaient vraisemblablement empruntés à l’alphabet latin en lui donnant un aspect nouveau et un nom spécial, possédaient, dans l’imagination des peuples primitifs, une influence mystérieuse et surnaturelle. Ils en faisaient un fréquent usage pour conjurer le sort et pratiquer la magie.