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une fortune considérable. Skallagrim se bâtit ensuite à Knarrarnes une ferme qu’il exploita longtemps encore.

Skallagrim était un habile forgeron. Pendant l’hiver il exploitait activement le rouge minerai des marécages. Il fit construire une forge au bord de la mer, à une grande distance de Borg, dans un endroit appelé Raufarnes, qu’il ne jugeait pas trop éloigné de la forêt. Or, comme il ne trouva pas de pierre suffisamment dure et unie pour qu’elle lui semblât bonne à supporter le choc du fer — il faut savoir qu’au bord de la mer il n’y a pas de cailloux de quelque épaisseur, que partout ce ne sont que des étendues de sable fin — un beau soir, au moment où les autres gens allaient dormir, Skallagrim se rendit au rivage, poussa en mer un bateau à seize rames qui lui appartenait et rama jusqu’aux Midfjardareyjar[1]. Là il fit descendre par-dessus la proue l’ancre de pierre, monta sur le bord du bateau, plongea et ramena une pierre qu’il hissa sur le bateau ; puis il y remonta lui-même, rama vers la terre, transporta la pierre à sa forge, la déposa devant la porte et dès lors battit le fer là-dessus. Cette pierre s’y trouve encore. À côté il y a une quantité d’écailles de fer. On voit qu’elle a été frappée à la partie supérieure et que les vagues l’ont rendue lisse. Elle ne ressemble pas aux autres pierres qui se trouvent là. Aujourd’hui quatre hommes ne la soulèveraient plus. Skallagrim se livra avec ardeur au travail de la forge ; mais ses serviteurs se plaignaient de devoir se lever de bonne heure[2]. Alors il composa cette strophe :

Il faut que de très bonne heure
Le forgeron se lève,
S’il veut amasser de l’argent.
Les soufflets suscitent le vent.
Sur la masse chauffée au rouge
Je fais retentir les marteaux,
Pendant que hurlent les soufflets
À la respiration haletante.

  1. « Îles du centre du fjord, » un groupe d’îles du Borgarfjord, auj. Borgareyjar.
  2. Les forgerons habiles jouissaient d’une légitime considération. Le minerai de fer était rare et l’exploitation difficile. Les objets d’art et d’ornement étaient pour la plupart de fabrication étrangère. Le travail indigène ne fournissait guère que les armes et les ustensiles de première nécessité.