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Si le fond de la saga est historique, si les faits principaux qu’elle relate sont véridiques, nous pouvons admettre également que les tableaux variés qu’elle présente de l’ancienne société scandinave sont bien conformes à la réalité, du moins dans les contours généraux. C’était bien là la façon de penser, de vivre, d’agir de ces Islandais d’il y a dix siècles. L’auteur a peint d’après nature ; on le sent à cette allure franche et sincère qui ne se ralentit pas un seul instant, à ce naturel charmant et cet accent de vérité qui s’observent jusque dans les moindres épisodes.

Cependant la réalité n’exclut pas la poésie. Ces deux sources d’inspiration, également inépuisables, marchent de pair, se prêtent un mutuel et merveilleux appui et impriment aux récits cette teinte indécise qui semble être un reflet des longs crépuscules scandinaves. Ce n’est pas à proprement parler de l’histoire, et ce n’est pas de la légende. Les deux, admirablement combinées, forment une espèce d’histoire poétique. C’est un genre spécial à la littérature du Nord ; on en chercherait vainement les pareils dans l’histoire littéraire du monde. Il présente, il est vrai, quelque analogie, d’un côté, avec la logographie des Grecs, les chansons de geste, et, d’autre part, avec nos romans historiques et ce que nous entendons par mémoires ; on pourrait aussi le comparer, sous certains rapports, à l’autobiographie de Goethe, Vérité et Fiction. Mais ces rapprochements sont plutôt forcés et ne reposent que sur des ressemblances assez confuses et lointaines. C’est peut-être ce double aspect qui imprime à la saga poétique la saveur toute particulière qui la caractérise parmi tant d’autres. Il est peu de ses congénères, en effet, qui laissent dans l’esprit du lecteur, malgré le tragique de certaines situations, une impression aussi douce, réellement faite pour charmer et attendrir.

Ceci est vrai surtout de la saga de Gunnlaug. Elle