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la partie la plus large du navire ; les plus petits, vers l’avant. Un esclave sur dix était chargé, le martinet à la main, d’assurer l’ordre et le silence absolu pendant la nuit : on le reconnaissait dans l’ombre à la vieille chemise dont il était affublé. Les passagers disciplinés avaient comme oreiller un billot de bois, tels les chefs mandingues, les plus civilisés des nègres, et jadis les Pharaons et les grands seigneurs de l’Égypte, qui n’avaient pas d’autre traversin. Si, dans les navires marseillais qui conduisaient au treizième siècle les pèlerins en Terre-Sainte, les passagers n’avaient droit qu’à sept palmes (1 m. 82) sur deux et demie (0 m. 65), à bord des négriers, on ne laisse même pas aux esclaves l’espace qu’ils occuperaient dans un cercueil : « On les place comme des coins ; on les serre comme des cuillers ; on les presse comme des figues et des raisins. »

LA SAIGNÉE D’UN CONTINENT

Un continent se vidait ainsi peu à peu dans un autre par une saignée sans fin. Hémorragie des plus inquiétantes, « quatorze cent mille malheureux qu’on voit aujourd’hui dans les colonies européennes du nouveau monde, sont les restes infortunés de neuf millions d’esclaves qu’elles ont reçus », écrivait en 1770 l’abbé Raynal. Et il était au-dessous de la vérité, sans qu’on puisse pourtant adopter la statistique de Cooper qui, un quart de siècle plus tard, évaluait à cinq millions et demi l’effectif des noirs du nouveau monde « tristes débris de plus de cent millions d’Africains