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décida à reprendre, avec la liberté, le chemin de leur patrie. Les deux Dankalis de garde surpris et bâillonnés, il appareilla de nuit pour l’Afrique. Mais déjà le sambouc était à ses trousses. Bientôt rattrapés et transbordés, les fugitifs songeaient avec effroi aux atroces supplices qu’on inflige aux esclaves, quand un faisceau lumineux balaya l’horizon. Un patrouilleur italien, à son tour, donnait la chasse aux marchands de chair humaine. Et ceux-ci, affolés, d’étendre sur les têtes de leurs victimes une lourde toile à voile ; fixée tout autour sur le vaigrage par de solides garcettes, elle leur servirait de suaire. Car l’équipage arabe, pour échapper aux sévérités de la loi, abandonnait en canots le sambouc préalablement sabordé, d’où monta une clameur d’agonie. Seul, par une déchirure de la toile, Gabré put émerger au moment où le sambouc chavirait, la quille en l’air.

Au Français qui l’avait recueilli, il disait avec tristesse : « Ma folie a causé la mort de ces malheureux. Sans moi, ils auraient vécu heureux comme esclaves, car les esclaves sont plus heureux que les paysans gallas ! » Singulier état d’esprit chez un homme qui savait l’abominable cruauté avec laquelle un de ses compagnons avait été châtré.

Henry de Monfreid eut la satisfaction de se faire un jour chasseur de négrier. Pêcheur de perles dans la mer Rouge, il rencontre à l’île Harmil un malheureux Soudanais, auprès duquel un autre agonise. Ce sont les débris de l’équipage d’une barque de pêche, que des Arabes ont surprise et coulée ; leurs dix-neuf compagnons soudanais ont été emmenés en esclavage pour être vendus