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comme des bêtes féroces. L’île était déjà à feu et à sang, depuis que le quarteron Ogé, qui avait déployé le premier le drapeau de la liberté, avait péri sur la roue en mars 1791. Les mulâtres massacraient les blancs, rompaient vifs au Petit-Goave leurs prisonniers, clouaient à sa porte un policier, sciaient entre deux planches un charpentier, violaient les femmes. En vain, les commissaires du peuple Romme, Mirbeck et Saint-Léger proclamèrent-ils une amnistie générale. Des milliers de nègres marchèrent sur le Cap Français qu’ils réduisirent en cendres en 1793, après une horrible boucherie des habitants.

Sur les ruines fumantes, à sa bande d’incendiaires, le chef nègre Bouckman jetait ces sauvages alexandrins que scandait le son lugubre des tambourins et des lambis :


Bon Dieu qui fait le soleil, et d’en haut nous éclaire,
Qui soulève la mer et fait gronder l’orage,
… Ce Dieu si bon nous ordonne la vengeance,
Il nous conduit le bras, il nous donne assistance ;
Jetez le portrait du Dieu des blancs qui nous fait

venir de l’eau aux yeux ;
Écoutez la liberté qui parle au cœur de nous tous.


Bon Dié qui fait soleil, qui clairé nous en haut,
Qui soulévé la mer, qui fait grondé l’orage,
… Dié qui la si bon ordonnin nous vengeance :
Li va conduit bras nous, li ha nous assistance ;
Jetté portrait Dié blancs qui soif dlo dans gié nous,
Conté la liberté li parlé cœur nous tous.