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voyez les nègres, dès le point du jour, se former en caravanes. Chantant ou fumant, ils se dirigent vers les champs de cannes à sucre et d’indigo à travers cocotiers et cotonniers, au milieu des cacaoyers aux fruits pourpres et des calebassiers aux teintes vertes. Ils déposent dans quelque caverne en dôme, le repas qu’ils viendront prendre dans la fraîcheur de l’ombre, quand le soleil sera au zénith, après avoir biné la canne à sucre ou dépouillé l’indigo des fils du colleux ou ver-brûlant.

Ainsi la poésie d’un tableau de la nature voilait le réalisme d’une situation qui répondait à la définition d’Aristote : l’esclave n’est qu’un instrument. Il a travaillé de l’aurore jusqu’au crépuscule sous le fouet du commandeur dans le carreau ou le panneau d’une plantation. La sueur lui coule dans « l’entre-deux des épaules », comme dans une gouttière. Et pourtant, la nuit tombée, le souper à peine achevé, il faudra, hommes, femmes et enfants, reprendre la tâche pour éjamber le pétun, c’est-à-dire retirer la fibre médiane du tabac.

Le lendemain, une demi-heure avant l’aube, il faudra se lever pour aller quérir, dans des cabrouets, une lourde charge de cannes à sucre jaunes comme de l’or. Rien de dangereux comme les moulins, mus par un couple de bœufs, où on va les presser. Les négresses « qui donnent à manger » aux moulins, ont à se garer des tambours ou rolles qui « mordent » les cannes. Un bout de manche, le bout des doigts vient-il à être mordu lui aussi, il ne faut pas hésiter à couper le bras d’un coup de serpe pour sauver le reste