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et Bardouville[1], gens difficiles et factieux, affectant[2] une vertu austère, et peu sociables, s’étaient rendus maîtres de l’esprit de ce prince[3] ; ils avaient fait une liaison étroite de Monsieur et de lui contre le Cardinal, par l’entremise du comte de Montrésor[4], qui suivait en tout, par une imitation affectée, les manières et les sentiments de Saint-Ibar et de Varicarville.

Quelque considérable que fût cette union de Monsieur et de Monsieur le Comte, elle était néanmoins trop faible pour ébranler la fortune du Cardinal par des intrigues : on eut recours à d’autres voies, et ils résolurent de le tuer quand ils pourraient le faire sûrement. L’occasion s’en présenta bientôt après : un jour que le Roi tint conseil dans un petit château, à une lieue d’Amiens, où Monsieur, Monsieur le Comte et le Cardinal se trouvèrent, le Roi sortit le premier, pour retourner à Amiens, et quelques affaires ayant retenu plus d’une demi-heure le Cardinal avec ces deux princes, ils furent pressés par Saint-Ibar, par Montrésor et par Varicarville d’exécuter leur entreprise ; mais la timidité de Monsieur et la faiblesse de Monsieur le Comte la rendirent vaine : le Cardinal connut le péril où il était ; le trouble parut sur son visage, il laissa Monsieur et Monsieur le Comte ensemble et partit avec précipitation. J’étais présent, et bien

  1. Autre gentilhomme normand, un des esprits forts du temps.
  2. Dans le manuscrit, avec accord, affectants.
  3. S’étoient rendus maîtres de ce prince. (1817, 36, 38.)
  4. Claude de Bourdeille, comtte de Montrésor, petit-neveu du célèbre Brantôme, avait gagné la faveur du duc d’Orléans, auprès duquel il remplissait les fonctions de grand veneur. Il fut très-mêlé aux intrigues des adversaires de Richelieu, puis de Mazarin. En 1653, il fit sa paix avec la cour ; il mourut en 1663. Retz (tome I, p. 222) dit qu’il « avoit la mine de Caton, » mais qu’il « n’en avoit pas le jeu. » Voyez aussi Mme de Motteville, tome I, p. 360. On a de lui des Mémoires, que nous avons déjà cités plus haut.