Page:La Rochefoucauld - Œuvres, Hachette, t2, 1874.djvu/92

Cette page n’a pas encore été corrigée

le plaisir que sentit le Roi de faire dépit à la Reine et à Mlle de Hautefort en m’éloignant de la cour.

La seconde année de cette guerre donna beaucoup de prétextes[1] aux ennemis du cardinal de Richelieu de condamner sa conduite. On avait considéré la déclaration de la guerre et le dessein qu’un si grand ministre avait formé depuis si longtemps d’abattre la maison d’Autriche comme une entreprise hardie et douteuse ; mais alors elle parut folle et téméraire : on voyait que les Espagnols avaient pris sans résistance la Capelle, le Catelet et Corbie[2] ; que les autres places des frontières[3] n’étaient ni mieux munies ni mieux fortifiées, que les troupes étaient faibles et mal disciplinées, qu’on manquait de poudres et d’artillerie, que les ennemis étaient entrés en Picardie et pouvaient marcher à Paris[4]. On s’étonnait encore que le Cardinal eût exposé si légèrement la réputation du Roi et la sûreté de l’État, sans prévoir tant de malheurs, et qu’il n’eût d’autre ressource, dans la seconde année de la guerre, que de faire convoquer l’arrière-ban[5]. Ces bruits, répandus dans tout le Royaume, réveillèrent les cabales, et don-

  1. Prétexte. (1817.)
  2. Petites villes de Picardie, les deux premières aujourd’hui dans l’Aisne, la troisième dans la Somme. Leurs gouverneurs, pour les avoir rendues, furent écarteles en effigie.
  3. Places frontières. (1817, 26, 38.)
  4. On voit dans les Mémoires de la Force (Tome III, chapitre xxii) qu’à ce moment (août i636) la stupeur était générale. On rompit à la hâte tous les ponts sur l’Oise, à Beaumont, à Creil, à Pont-Sainte-Maxence : « L’effroi, dit la Force (p. 174), se coule jusqu’à Paris. » L’année 1636 en garda le nom d’année de Corbie. Voyez aussi les Mémoires de Bussy, tome 1, p. 12 et suivantes, 1867. — On raconte que la panique avait gagné Richelieu lui-même, et qu’il songeait à quitter le ministère. Ce fut le P. Joseph, son familier, qui, dit-on, l’en empêcha, en le traitant de « poule mouillée. » Voyez, l’Art de vérifier les dates, tome I, p. 676 et p. 676 et la note.
  5. Voyez les Mémoires de Montrésor, p. 294.