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nante; elle se servait de tous ses charmes pour réussir dans ses desseins[1], et elle a presque toujours porté malheur aux personnes qu’elle y a engagées[2]. Elle avait été aimée du duc de Lorraine, et personne n’ignore qu’elle n’ait été[3] la première cause des malheurs que ce prince et ses États ont éprouvés si longtemps[4]. Mais si l’amitié de Mme de Chevreuse a été dangereuse à M. de Lorraine, elle ne la[5] fut pas moins à la Reine dans la suite. La cour était à Nantes, et on était sur le point de con-

  1. Le cardinal de Retz (tome II, p. 184 et 185) trace de la duchesse de Chevreuse un portrait où parait avant tout la malignité habituelle du peintre : Son mérite en politique « ne fut, dit il, que d’occasion. Si elle fût venue dans un siècle où il n’y eût point eu d’affaires, elle n’eût pas seulement imaginé qu’il y en pût avoir. Si le prieur des Chartreux lui eût plu, elle eût été solitaire de bonne foi. M. de Lorraine, qui s’y attacha, la jeta dans les affaires ; le duc de Buckingham et le comte de Holland l’y entretinrent ; M. de Châteauneuf l’y amusa. Elle s’y abandonna, parce qu’elle s’abandonnoit à tout ce qui plaisoit à celui qu’elle aimoit. »
  2. Amelot de la Houssaye dit, dans la préface de l’édition de 1689, que l’on comparait la duchesse « au cheval de Séjan, dont tous les maîtres avoient eu une fin malheureuse. » Voyez Aulu-Gelle, livre III, chapitre ix. — Comme le fait observer V. Cousin (Madame de Chevreuse, p. 12), si Mme de Chevreuse a porté malheur à tous ceux qu’elle a aimés, « il est encore plus vrai de dire que tous ceux qu’elle a aimés l’ont précipitée, à leur suite, dans des entreprises téméraires. »
  3. N’ignora qu’elle n’ait été. (1817.) — N’ignoroit qu’elle n’eût été. (1826, 38.)
  4. La brouille du duc de Lorraine Charles III (ou IV) avec Richelieu est antérieure à l’arrivée de Mme de Chevreuse à Nancy, mais, par son étonnante activité et ses rares facultés politiques, elle agrandit la querelle et amena entre la Lorraine, l’Empire, l’Angleterre et la Savoie cette ligue contre le Cardinal dont lord Montaigu, introduit plus loin dans le récit, fut l’agent le plus actif et le négociateur principal. Le maréchal de la Force, dans ses Mémoires (tome III, p. 55), dit que ce duc Charles III de Lorraine était une épine que le Roi prit « résolution de s’ôter du pied. »
  5. Elle ne le fut pas moins. (1817, 26, 38.)