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et ma liberté n’avaient pas été les seules victimes que j’avais offertes pour son intérêt et pour son repos, et l’horreur des supplices les plus effroyables ne m’avait pas empêché de lui faire aussi bon marché de ma vie, quand elle avait bien voulu confier la sienne au courage, à la fermeté et à la prudence d’un homme de vingt-deux ans.

Aussi dois-je avouer que rien n’avait manqué à sa reconnaissance durant tout ce temps-là. Je ne hasardais ni ne perdais quoi que ce soit pour elle, dont ses bontés et ses louanges ne me récompensassent, même avec excès ; il semblait qu’elle ne s’intéressât qu’en ma faveur au succès des armées où j’allais servir, et elle avait accoutumé de dire qu’elle ne voyait plus de gazettes dès qu’elle n’avait plus à craindre pour moi. Je lui paraissais au-dessus de tout ce qu’il y avait de charges et de dignités, et on eût dit qu’elle ne souhaitait une extraordinaire puissance que pour m’élever à d’extraordinaires grandeurs. Cependant, quoique je la servisse, en l’occasion qui se présentait, plus utilement que je n’avais fait en toutes les autres, et que quelque sorte de réputation me donnât moyen de lui acquérir presque tous les jours quelque corps, quelque place, ou quelque personne d’extrême importance, je commençai à m’apercevoir que je me reculais par les