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vèrent, et, me voyant bien vêtu, ils disputèrent ma dépouille et qui me tuerait[1]. Dans ce moment, le comte de Rozan chargea les ennemis avec sa seconde ligne. Le bruit de la décharge surprit ces six soldats, et, sans que j’en sache d’autres raisons, ils s’enfuirent. Quoique ma blessure fût fort grande[2], je me trouvai néanmoins assez de force pour me relever, et, voyant un cavalier auprès de moi qui voulait remonter à cheval, je le lui ôtai et son épée aussi. Je voulais rejoindre le comte de Rozan ; mais, en y allant, je vis ses troupes qui suivaient l’exemple des miennes, sans qu’on les pût rallier. Il fut pris et blessé, et mourut bientôt après. Le marquis de Sillery[3] fut pris aussi. Je joignis le comte de Matha[4], maréchal de camp, et nous arrivâmes ensemble à Paris[5]. Je le priai de ne rien dire de ce qu’il avait vu faire à Noirmoustier, et je ne fis aucune plainte contre lui ; j’empêchai même qu’on ne punît la lâcheté des troupes qui m’avaient abandonné et qu’on ne les fît tirer au billet[6].

  1. Et à qui me tueroit. (1817, 26, 38.)
  2. Fût grande. (1817, 26, 38.)
  3. Louis-Roger Brûlart, marquis de Puisieux et de Sillery, beau-frère de la Rochefoucauld, dont il avait épousé la sœur, Marie-Catherine, en 1638. Il était mestre de camp de l’infanterie ; il fut plus tard un des principaux négociateurs de la Fronde avec les Espagnols. Il mourut en 1691.
  4. Charles de Bourdeille, comte de Matha ou de Mastas, frondeur ardent, cousin germain de Montrésor, dont il a été question plus haut (p. 26), et, comme lui, petit-neveu de Brantôme. Il commandait, depuis 1640, une compagnie aux Gardes. Rentré plus tard en grâce à la cour, il acquit une grande réputation d’esprit, et surtout d’esprit fort. Pendant l’exil de Mademoiselle, il fut très-assidu à Saint-Fargeau. Il mourut en 1674. Voyez sur lui Tallemant des Réaux, tomes V, p. 303, et VI, p. 78.
  5. Voyez le récit de ce combat du 19 février 1649 dans Retz, tome II, p. 262-2G4, et dans Gourville, p. 223 et 224.
  6. C’est-à-dire qu’on ne les décimât. On mettait les noms sur des billets, et l’on tirait au sort qui serait passé par les armes.