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trouvai bien heureux d’être sorti de prison dans un temps où personne n’en sortait, et de retourner[1] à Verteuil sans qu’on eût été averti que j’étais chargé des pierreries de Mme de Chevreuse.

La Reine me fit paraître avec tant de bonté qu’elle ressentait vivement tout ce qui m’arrivait pour son service, et Mlle de Hautefort me donna tant de marques d’estime et d’amitié, que je trouvai mes disgrâces trop bien payées. Mme de Chevreuse, de son côté, ne me témoignait pas une moindre reconnaissance, et elle avait tellement exagéré ce que j’avais fait pour elle, que le roi d’Espagne[2] l’alla voir, sur la nouvelle de ma prison, et lui fit encore une seconde visite quand on apprit ma liberté. Les marques d’estime que je recevais des personnes à qui j’étais le plus attaché, et une certaine approbation que le monde donne assez facilement aux malheureux quand leur conduite n’est pas honteuse, me firent supporter avec quelque douceur un exil de deux ou trois années[3]. J’étais jeune ; la santé du Roi et celle du Cardinal s’affaiblissaient, et je devais tout attendre d’un changement. J’étais heureux dans ma famille ; j’avais à souhait tous les plaisirs de la campagne[4] ; les provinces voisines étaient remplies d’exilés, et le rapport de nos fortunes et de nos espérances rendait notre commerce agréable. On me permit enfin d’aller à l’armée

  1. Et je retournai. (1826, 38.)
  2. Philippe IV, frère d’Anne d’Autriclie.
  3. C’est pendant ce laps de temps que Mme de Chevreuse lui fît redemander ses pierreries par un gentilhomme nommé Tartareau. Voyez la lettre, déjà citée, de la Rochefoucauld à M. de Liancourt, du mois de septembre 1638.
  4. Et aussi des préoccupations d’un genre plus pratique, témoin une lettre, qu’on trouvera dans notre recueil (à l’appendice), adressée par le père de la Rochefoucauld, le 20 février 1642, à M. de la Ferté, ambassadeur en Angleterre.