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SUR LA ROCHEFOUCAULD

point trempé dans la Fronde[1] ; c’était, avant tout, un esprit sain, exempt de chimères, sans inclinations héroïques et d’un équilibre parfait ; une puriste, du reste : à cela seul on s’apercevait qu’elle avait jadis fréquenté l’hôtel de Rambouillet. Qui donc n’y avait point fait son stage de belles-lettres ? Mme de Sévigné elle-même ne se souvenait-elle pas en souriant d’avoir été une précieuse ? Le salon de Mme de Sablé offrait donc le charme d’un coin neutre, d’un terrain de conciliation, où le mérite personnel était tout. Dans ce milieu choisi, la Rochefoucauld, sans y penser, pour ainsi dire, se fît homme de lettres.

« J’écris bien en prose, je fais bien en vers[2], dit-il (ci-après, p. 8) dans son Portrait fait par lui-même, dont nous parlerons tout à l’heure, et si j’étois sensible à la gloire qui vient de ce côté-là, je pense qu’avec peu de travail je pourrois m’acquérir assez de réputation. » La gloire du prosateur repose sur les plus solides fondements ; nous avions espéré pouvoir aussi donner à nos lecteurs le moyen d’apprécier sinon le poëte éminent, au moins l’habile versificateur. Nous savions qu’un recueil manuscrit de pièces de vers portant le nom de la Rochefoucauld était aux mains d’un érudit qui se proposait d’en faire l’objet d’un sérieux examen ; il nous avait, nous pouvons dire, promis de publier dans notre Collection, comme annexe aux Œuvrcs, le fruit de son travail, accompagné des pièces qu’il jugerait authentiques. Nous avons en vain attendu plusieurs années ; nous n’avons pas même pu voir le manuscrit, savoir d’où il venait, si c’était celui où M. Charavay avait reconnu l’écriture du duc, le recueil de poésies mentionné par Cousin dans son histoire de Madame de Sablé[3], et que M. Éd. de Barthélémy croit être le volume C disparu, nous dit-il, de la bibliothèque de


    Rochefoucauld, comme bien des goutteux, dit-on, était très-friand (voyez, dans notre tome III, p. 148-164, les lettres 65, 69, 70 et 74) ; la bête en lui, non moins que l’esprit, trouvait son compte dans l’hospitalière maison du faubourg Saint-Jacques.

  1. Voyez Madame de Sablé, chapitre iii.
  2. Nous ne trouvons dans les Lettres à rapprocher de ces mots : en vers, qu’un passage de la 54e, à Esprit, dont on peut induire qu’il est auteur d’un livret d’opéra, qu’il communique à celui-ci et à Mme de Sablé, pour en avoir leur avis.
  3. Page 146, note i.