Page:La Rochefoucauld - Œuvres, Hachette, t1, 1868.djvu/489

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
353
DISCOURS SUR LES MAXIMES

octobre, Segrais se fût mis a l’œuvre ; il ne serait pas impossible même qu’il eût fait le travail avant son départ de Saint-Fargeau ; mais outre que la chose est peu probable, comment s’expliquer qu’il n’en soit fait mention ni dans les Mémoires de Mademoiselle de Montpensier, ni dans les Mémoires de Segrais lui-même ? Il faut noter d’ailleurs que la liaison entre Segrais et la Rochefoucauld ne s’établit d’une manière suivie qu’après la seconde rentrée de Mademoiselle de Montpensier à Paris, c’est-à-dire après juin 1664, et que cette liaison ne prit le caractère de l’intimité qu’au moment où Segrais, brouillé avec Mademoiselle, vint habiter chez Mme de la Fayette, au mois de mars 1671.

À ces présomptions contre Segrais, nous ajoutons une preuve en faveur de la Chapelle. Nous la tirons d’une lettre inédite[1], que l’on trouvera parmi les autres lettres de notre auteur[2], mais dont nous devons reproduire ici, en les soulignant, les principaux passages, parce que, à notre avis, ils tranchent la question.

Le 12 juillet (1666)[3], la Rochefoucauld écrit au P. Rapin[4] : « Ce n’est pas assez pour moi de tout ce que nous disions hier : il me vient à tous moments des scrupules, et l’on ne sauroit jamais avoir trop de délicatesse pour un ami du prix de M. de la Chapelle ; c’est pourquoi, mon très-révérend Père, je vous supplie très-humblement de vous mettre précisément en ma place, et de vouloir être mon directeur pour tout ce que je dois à notre ami, avec autant d’exactitude que vous en avez pour les consciences. N’ayez, s’il vous plaît, aucun égard à l’intérêt des Maximes, et ne songez qu’à ne me laisser manquer à rien vers l’homme du monde à qui je veux le moins manquer, etc., etc. »

Après le témoignage de Gueret, il nous semble que nous avons ici plus qu’un commencement de preuve, et qu’on peut, sans abuser de l’induction, commenter ainsi cette lettre : en 1665, ou plutôt en 1664 (voyez à la page Précédente), pour répondre aux nombreuses objections qu’avait déjà soulevées le livre, même avant la publication[5], la Rochefoucauld accepte la plume de la Chapelle, offerte par un ami commun, le P. Rapin. Dès la seconde édition

  1. Cette lettre, de la main de la Rochefoucauld, fait partie de la belle collection de M. Chambry, qui a bien voulu m’en donner communication avec sa bonne grâce habituelle.
  2. Au tome II de la présente édition.
  3. La date de l’année n’est pas marquée sur l’autographe, mais si la lettre se rapporte, comme il ne nous paraît pas possible d’en douter, à la suppression du Discours, elle est évidemment de 1666, année de la seconde édition des Maximes.
  4. Rapin (René), jésuite, né à Tours en 1621, mort à Paris le 27 octobre 1687. Il a excellé dans la poésie latine, et son poëme des Jardins a passé longtemps pour un chef-d’œuvre digue du siècle d’Auguste. « Il avoit, dit Moréri, d’excellentes qualités, un génie heureux, nu très-bon sens une probité exacte, et un cœur droit et sincère. Il étoit naturellement honnête, et il s’étoit encore poli dans le commerce des grands, qui l’ont honoré de leur amitié. » Moréri ajoute qu’il étoit extrêmement officieux ; nous voyons ici que la Rochefoucauld, entre autres, avait profité de cette aimable disposition.
  5. Voyez, ci-après, les Jugements des contemporains sur les Maximes.