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RÉFLEXIONS DIVERSES

Combien d’animaux qui vivent sous terre[1] pour se conserver ! Combien de chevaux, qu’on emploie à tant d’usages, et qu’on abandonne quand ils ne servent plus ; combien de bœufs, qui travaillent toute leur vie, pour enrichir celui qui leur impose le joug ; de cigales[2], qui passent leur vie à chanter ; de lièvres, qui ont peur de tout ; de lapins, qui s’épouvantent et se rassurent en un moment[3] ; de pourceaux, qui vivent dans la crapule et dans l’ordure ; de canards privés, qui trahissent leurs semblables, et les attirent dans les filets[4] ; de corbeaux et de vautours, qui ne vivent que de pourriture et de corps morts ! Combien d’oiseaux passagers, qui vont si souvent d’un monde à l’autre, et[5] qui s’exposent à tant de périls, pour chercher à vivre ! combien d’hirondelles, qui suivent toujours le beau temps ; de hannetons, inconsidérés et sans dessein ; de papillons, qui cherchent le feu qui les brûle ! Combien d’abeilles, qui respectent leur chef, et qui se maintiennent avec tant de règle et d’industrie ! combien de frelons, vagabonds et fainéants, qui cherchent à s’établir aux dépens des abeilles ! Combien de fourmis, dont la prévoyance et l’économie soulagent

  1. « Sur terre. » (Édition de M. de Barthélémy.)
  2. Le texte de M. de Barthélémy a « des cigales, » et de même des, et non de, devant tous les noms d’animaux, jusqu’à la fin de la phrase.
  3. « Qui s’épouvantent et rassurent. » (Édition de M. de Barthélémy.) — On trouvera plus loin, à l’Appendice, la fable de la Fontaine, les Lapins, dont la Rochefoucauld lui avait fourni le sujet.
  4. On peut voir dans l’Histoire naturelle de Buffon (édition annotée par M. Flourens, Paris, 1864, tome VIII, p. 467 et suivantes) une intéressante description faite par un habitant de Montreuil-sur-Mer, et contenant tout le détail de la chasse dont parle ici la Rochefoucauld. On se sert de canes et de canards privés, mais provenant d’œufs de canards sauvages, pour attirer ces derniers dans les filets. L’auteur de la description désigne par le terme consacré de traîtres ceux qui sont dressés à cette chasse.
  5. M. de Barthélémy a omis cette conjonction.