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RÉFLEXIONS DIVERSES

le sommet de la montagne, on s’efforce d’y arriver ; on l’espère quelquefois, mais on n’y arrive jamais. On n’est pas assez heureux pour oser croire ce que l’on souhaite, ni même assez heureux aussi pour être assuré de ce qu’on craint le plus[1] ; on est assujetti à une incertitude éternelle, qui nous présente successivement des biens et des maux qui nous échappent toujours.

IX. — de l’amour et de la vie*.

L’amour est une image de notre vie : l’un et l’autre sont sujets aux mêmes révolutions et aux mêmes changements[2]. Leur jeunesse est pleine de joie et d’espérance : on se trouve heureux d’être jeune, comme on se trouve heureux d’aimer. Cet état si agréable nous conduit à désirer d’autres biens, et on en veut de plus solides ; on ne se contente pas de subsister, on veut faire des progrès, on est occupé des moyens de s’avancer et d’assurer sa fortune[3] ; on cherche la protection des ministres, on se rend utile à leurs intérêts ; on ne peut souffrir que quelqu’un prétende ce que nous prétendons. Cette émulation est traversée de mille soins et de mille peines, qui s’effacent par le plaisir de se voir établi : toutes les passions sont alors satisfaites, et on ne prévoit pas qu’on puisse cesser d’être heureux.

Cette félicité néanmoins est rarement[4] de longue durée, et elle ne peut conserver longtemps la grâce de la nouveauté[5] ; pour avoir ce que nous avons souhaité,

  1. Rapprochez de la maxime 348.
  2. Rapprochez de la maxime 75.
  3. Voyez la maxime 490.
  4. « Est néanmoins rarement. » (Édition de M. de Barthélémy.)
  5. Voyez la maxime 274, et la 18e des Réflexions diverses.