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RÉFLEXIONS DIVERSES

grands originaux ont produit un nombre infini de mauvaises copies[1]. Les vertus sont frontières des vices ; les exemples sont des guides qui nous égarent souvent, et nous sommes si remplis de fausseté, que nous ne nous en servons pas moins pour nous éloigner du chemin de la vertu, que pour le suivre.

VIII. — de l’incertitude de la jalousie[2]*.

Plus on parle de sa jalousie, et plus les endroits qui ont déplu paroissent de différents côtés ; les moindres circonstances les changent, et font toujours découvrir quelque chose de nouveau. Ces nouveautés[3] font revoir, sous d autres apparences, ce qu’on croyoit avoir assez vu et assez pesé ; on cherche à s’attacher à une opinion, et on ne s’attache à rien ; tout ce qui est de plus opposé et de plus effacé[4] se présente en même temps ; on veut haïr et on veut auner, mais on aime encore quand on hait, et on hait encore quand on aime[5]. On croit tout, et on doute de tout ; ou a de la honte et du dépit d’avoir cru et d’avoir douté ; on se travaille incessamment pour arrêter son opinion, et on ne la conduit jamais à un lieu fixe.

Les poëtes devroient comparer cette opinion a la peine de Sisyphe, puisqu’on roule aussi inutilement que lui un rocher, par un chemin pénible et périlleux ; on voit

  1. Voyez la maxime 133.
  2. Rapprochez des maximes 32 et 514.
  3. « Les nouveautés. » (Édition de M. de Barthélémy.)
  4. C’est bien le mot du manuscrit, mais il faut couveuir qu’après opposé n’est pas fort clair ; il signifie probablement oublié. Du reste, l’ensemble de cette Réflexion paraît manquer de netteté.
  5. Voyez les maximes 72 et 111.