divers chemins qu’il faut tenir. Le rapport qui se rencontre entre les esprits ne maintiendroit pas longtemps la société, si elle n’étoit réglée et soutenue par le bon sens, par l’humeur, et par des égards qui doivent être entre les personnes qui veulent vivre ensemble[1]. S’il arrive quelquefois que des gens opposés d’humeur et d’esprit paroissent unis, ils tiennent sans doute par des liaisons[2] étrangères, qui ne durent pas longtemps. On peut être aussi en société avec des personnes sur qui nous avons de la supériorité par la naissance ou par des qualités personnelles ; mais ceux qui ont cet avantage n’en doivent pas abuser : ils doivent rarement le faire sentir, et ne s’en servir que pour instruire les autres ; ils doivent leur faire apercevoir qu’ils ont besoin d’être conduits, et les mener par raison, en s’accommodant, autant qu’il est possible, à leurs sentiments et à leurs intérêts.
Pour rendre la société commode, il faut que chacun conserve sa liberté : il faut se voir, ou ne se voir point, sans sujétion, pour se divertir ensemble, et même s’ennuyer ensemble ; il faut se pouvoir séparer[3], sans que cette séparation apporte de changement ; il faut se pouvoir passer les uns des autres, si on ne veut pas s’exposer à embarrasser quelquefois, et on doit se souvenir qu’on incommode souvent, quand on croit ne pouvoir jamais incommoder[4]. Il faut contribuer, autant qu’on le peut,
- ↑ Ce passage est un heureux correctif à la maxime 87, qui n’est en réalité qu’une épigramme.
- ↑ Au lieu de raisons que donnent toutes les éditions. — Trois lignes plus haut on y lit : « les égards, » pour : « des égards ; » et vers la fin de l’alinéa : « par la raison, » au lieu de : « par raison. »
- ↑ Les diverses éditions donnaient ainsi ce passage : « il ne faut point se voir, ou se voir sans sujétion, et pour se divertir ensemble ; il faut pouvoir se séparer… » omettant ainsi le membre de phrase et même s’ennuyer ensemble.
- ↑ C’est presque textuellement la maxime 242.