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SUR LA ROCHEFOUCAULD

La Reine était « si bonne ! » elle prodiguait à tous de si rassurantes promesses ! Elle ne les plaignait point en particulier à Marcillac : « Elle m’assura plusieurs fois, dit-il[1], qu’il y alloit de son honneur que je fusse content d’elle, et qu’il n’y avoit rien d’assez grand dans le Royaume pour me récompenser. » Il fout l’avouer, l’expression de cette reconnaissance de cour dépassait quelque peu la mesure des services rendus par notre héros, et cette disproportion même eût averti un homme moins satisfait de lui-même ou d’un sens plus rassis. Cet ambitieux, qui, en ce moment, semble être à l’affût, va-t-il du moins saisir l’occasion et presser sa fortune ? Non. Il ne demande rien tout d’abord, ou, s’il demande quelque chose, c’est la grâce de Miossens, en fuite depuis son duel avec Villandry, et le retour de Mme de Chevreuse. Et ici se montrent, singulièrement mêlés et confondus l’un dans l’autre, les deux hommes qui étaient en lui. La cour était partagée entre Beaufort et Mazarin ; la Reine ne s’était pas encore prononcée, et les mécontents espéraient que le retour de Mme de Chevreuse viendrait jeter dans la balance le poids vainqueur d’une ancienne intimité. Si Marcillac en jugeait ainsi, c’était un coup de politique adroit que d’obtenir le rappel de la remuante duchesse ; mais Marcillac confesse qu’il ne se faisait pas sur ce point la moindre illusion : il avait pénétré le cœur d’Anne d’Autriche, et il y voyait décliner chaque jour le crédit de Mme de Chevreuse. Il insiste toutefois sur sa requête, et, au risque d’aigrir la Reine, il prend celle-ci par l’honneur et la bienséance, qui défendent aux personnes royales, non moins qu’aux simples particuliers, d’avoir l’air de sacrifier tout d’un coup de vielles affections. Il lui arrache enfin la permission d’aller au-devant de la duchesse[2], qu’il rencontre à Roye le 12 juin 1643. Comme font d’ordinaire les exilés, Mme de Chevreuse revenait sans avoir ni rien oublié ni rien appris. Marcillac, avec ces habiles réticences qui ménagent l’avenir, lui donne des avertissements pleins de sagesse et d’opportunité ; il la prie de ne point trop

  1. Mémoires, p. 66 et 67.
  2. Voyez l’Histoire de France pendant la minorité de Louis XIV, par M. Chéruel, tome I, p. 150 et 151 : comparez les Mémoires de Montglat, tome I, p. 413.