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RÉFLEXIONS OU SENTENCES

vivants. Je dis que c’est une espèce d’hypocrisie, à cause que dans ces sortes d’afflictions, on se trompe soi-même[1]. Il y a une autre hypocrisie, qui n’est pas si innocente, parce qu’elle impose[2] à tout le monde[3] : c’est l’affliction de certaines personnes qui aspirent à la gloire d’une belle et immortelle douleur. Après que le temps, qui consume tout, a fait cesser celle qu’elles avoient en effet, elles ne laissent pas[4] d’opiniâtrer leurs pleurs, leurs plaintes et leurs soupirs ; elles prennent un personnage lugubre, et travaillent à persuader, par toutes leurs actions, que leur déplaisir ne finira qu’avec leur vie[5]. Cette triste et fatigante vanité se trouve d’ordinaire dans les femmes ambitieuses : comme leur sexe leur ferme tous les chemins qui mènent à la gloire, elles s’efforcent de se rendre célèbres par la montre d’une inconsolable affliction[6]. Il y a encore une autre espèce de larmes qui

  1. Var. : on se trompe souvent soi-même. (1666.)
  2. L’édition de Duplessis (1853) donne à tort : « parce qu’elle s’impose. »
  3. Var. : … des larmes qui ne coulent que pour ceux qui les versent. J’ai dit que c’étoit une espèce d’hypocrisie, parce que, par elle, l’homme se trompe seulement soi-même. Il y en a une autre, qui n’est pas si innocente, et qui impose à tout le monde… (1665.)
  4. Var. : … immortelle douleur ; car le temps, qui consume tout, l’ayant consumée, elles ne laissent pas… (Manuscrit et 1665.)
  5. Var. : … par toutes leurs actions, qu’elles égaleront la durée de leur déplaisir (1665 : de tous leurs déplaisirs) à leur propre vie. (Manuscrit et 1665.)
  6. Var. : … dans les femmes ambitieuses, parce que, leur sexe leur fermant tous les chemins qui mènent à la gloire, elles se jettent dans celui-ci, et s’efforcent à se rendre célèbres par la montre d’une inconsolable douleur. (Manuscrit et 1665.) — Publius Syrus :
    Didicere flere feminæ, in mendacium.

    « Les femmes ont appris à pleurer, pour mentir. » — J. Esprit (tome I, p. 392, 393 et 393) : « Il y a des personnes qui se montrent outrées de douleur, lorsque leurs amis meurent, pour se faire remarquer et se distinguer des autres… Il y a des héroïnes d’afflic-