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NOTICE BIOGRAPHIQUE

grine, qui s’armera de la plume après s’être armé de l’épée, et qui frondera l’espèce humaine quand il n’y aura plus moyen de fronder les ministres. En attendant les fruits amers de l’expérience, Marcillac est tout aux illusions, et, comme les héros de ses chers romans, il débute par ce quart d’heure de désintéressement et d’enthousiasme qu’on retrouverait peut-être, à bien chercher, dans la vie des hommes le plus foncièrement personnels et le plus vite désabusés. Avec le nom qu’il portait, il avait de grandes espérances, et partant une grande ambition, cette double ambition de la jeunesse, qui aspire à la fois à la gloire et à l’amour. L’une et l’autre, au demeurant, semblaient, en ce temps, on ne peut plus légitimes, et la seconde surtout était de saison. Bien fait de sa personne, fort désireux et fort capable de plaire, le prince de Marcillac n’était point de ces jeunes gens qu’il nous dépeint, et dont « l’air composé se tourne… en impertinence[1]. » Il avait, au contraire, un certain air discret, ou plutôt un air honteux, comme il dit, une timidité en public, dont il souffrit toute sa vie[2], mais qui, couverte avec soin, pouvait passer pour une réserve de bon goût. Il écoutait plus qu’il ne parlait, pratiquant déjà cet art d’observer qui prépare, puis achève le moraliste. « Je commençai, dit-il[3], à remarquer avec quelque attention ce que je voyois. » Or ce qu’il remarqua tout d’abord, ce fut Mlle de Hautefort, qui était l’objet des assiduités peu entreprenantes du roi Louis XIII. La Rochefoucauld ne dit point qu’il ait soupiré lui-même pour cette fille d’honneur ; mais il nous semble bien qu’on peut se passer de son aveu. C’est par elle, en tout cas, qu’il obtint l’attention et la confiance d’Anne d’Autriche ; c’est elle qui obligea la Reine à lui « dire toutes choses sans réserve ; » et Mlle de Chemerault, qui avait ses raisons pour tendre l’oreille, était en quart dans ce commerce de confidences[4]. Tout ambitieux qu’il est, Marcillac, ainsi accueilli dans l’intimité d’Anne d’Autriche, commence par se montrer plus capable de

  1. Voyez, au tome I, les maximes 495 (p. 208) et 372 (p. 174).
  2. Voyez ci-après, p. xci, l’explication que donne Huet de son refus d’entrer à l’Académie française.
  3. Mémoires, p. 14. — 4. Ibidem, p. 21.
  4. Mlle de Chemerault était auprès de la Reine un espion de Richelieu : voyez encore les Mémoires, notes 3 et 4 de la page 21.